Théologie Trinitaire

 

 

Cours de dogmatique de l'année 1961-62 enseigné à l'Institut Saint-Denys à Paris. Ce cours a été publié aux éditions Friant, sous le titre Initiation Trinitaire en 1982. Il est disponible sur commande ici.

 

Introduction

[...] j'ai remarqué que si nous cherchons la précision pour lancer les cosmonautes, ou même pour le fonctionnement d'une machine, en revanche, plus nous nous élevons vers les plans essentiels, plus nous manquons de précision. Dans la psychologie, déjà, nous sommes plus ou moins précis, dans la politique et la sociologie, encore moins, et dans la religion nous sommes proches de zéro. Si quelqu'un ressent vaguement que Dieu existe, tout le monde s'écrie : c'est extraordinaire, il n'est plus athée ! il croit au bon Dieu ! Et tout le monde est ravi. Et pour acheter cette croyance en Dieu, on fera toutes sortes de bassesses, en arrangeant, en combinant...

Comme on le sait, l'exactitude scientifique et technique est tout-à-fait nécessaire pour que la machine fonctionne ou que l'opération chirurgicale réussisse. Une inexactitude quelconque peut pro­duire des catastrophes : une chaudière peut éclater, un bistouri peut tuer... Pourtant ce sont des dégâts miniatures, des dégâts dans le plan physique, dans un plan limité. Une bombe atomique et même toutes les bombes atomiques peuvent détruire plus ou moins notre terre... mais enfin, tout en étant très grande, notre terre n'est pas une si grande chose !

Les dégâts sont moins visibles mais beaucoup plus essentiels quand la Loi des lois, le Principe des principes, sur quoi tout est basé, c'est-à-dire le dogme trinitaire, est déformé. Certainement cette déformation ne détruit pas immédiatement, spectaculairement, par exemple une ville, mais elle ronge beaucoup plus profondément, parce qu'elle détruit les âmes et les esprits et, ensuite, les profondeurs des choses. Ici, nous devons complètement abandonner l'idée qu'on peut se contenter d'un à peu près et vivre uniquement dans les intuitions.

Tâchons donc de pénétrer dans le mystère de la Trinité. Il ne s'agit pas de Dieu en soi, mais de Dieu tel qu'Il s'est manifesté, se découvrant à nous comme la base, le fondement, le principe et la fin de la création. [...]

 

2e Cours : L’opacité de notre intelligence à la Trinité et l’impureté de notre langage
[...] Et se pose la question, que j’ai posé dans le sermon le jour de saint Denys : on parle beaucoup de purification de notre âme, des passions, des inclinaisons mauvaises ; c’est juste. On parle beaucoup d’une certaine purification, une certaine discipline, transformation de notre volonté, par obéissance ; c’est juste. Mais il y a aussi la purification de notre intelligence, qui est indispensable pour passer de l’état de la pensée duelle à la pensée trinitaire. C’est un travail sur notre intelligence. Et quand l’apôtre Paul parle du noûs du Christ, le mental du Christ, l’esprit du Christ, l’intelligence du Christ, il parle justement de cette transformation, de ce nouvel éclairage dans notre intelligence. Et ce nouvel éclairage de notre intelligence il y a une ascèse. Pourquoi nous devons le faire ? Parce que la clef de voûte de la compréhension de l’univers et de Dieu est la vision tri-unitaire. [...]

 

3e cours : L’Écriture et la Tradition, guides exigeants vers le mystère trinitaire

Nous allons plus loin avec les approches de la théologie trinitaire. Pour vous faciliter la tâche, je dirais qu’il est impossible de parler de la Trinité uniquement, en soi. On va tâcher de contempler la Trinité le plus possible en soi, en Elle - telle qu’Elle est en Elle - Dieu en Soi. Mais on doit prendre l’échelle de Jacob, et ne pas avoir peur de monter vers le divin, et redescendre vers le concret et terrien. Et dans cette montée et descente, avoir trois marchepieds, ou trois étapes, devant notre regard. C’est-à-dire :

  • la vie divine intime en soi — Trinité en Soi, Trinité absolue ;
  • la Trinité dans la manifestation divine, en tant qu’elle se manifeste ;
  • et enfin, les images les sceaux, les empreintes, les ressemblances de la Trinité dans le monde, ce qu’on appelle, après Guénon, les triades.

Alors, nous sommes obligés de remonter, de nous arrêter à mi-chemin, et redescendre dans les reflets, les ombres de la Trinité sur la terre. Et dès que nous sommes descendus vers ces ombres, encore une fois, abandonnant progressivement tout ce qui alourdit et assombrit la pensée trinitaire, remonter vers la Manifestation des Manifestations — vers Dieu. Et justement,  je veux vous initier aujourd’hui à cette méthode - en ouvrant les Écritures Saintes. [...]

 

5e cours : Les Noms divins

[...]Et, à côté des noms personnels, Thomas d’Aquin va ajouter les noms appropriés, qui ne sont pas personnels, qui sont d’une certaine manière "appropriés" aux personnes divines selon les circonstances : sagesse, vertu, voie, vie, vérité, etc. Et ici nous voyons un autre élément : comme la distinction est utile quand elle est Juste. Sagesse et vertu, vie et vérité, ce sont des noms appropriés ; Verbe et Image, des noms propres. Il fait une distinction là où il n’y en a pas. Il serait plus prudent de dire que tous sont appropriés que de dire qu’il y a ces catégories,[…]
Au lieu de prendre ces noms comme des guides avec lesquels pénétrer derrière les mots vers l’esprit, derrière les signes vers le signifié Thomas épingle des mots comme propres ou comme appropriés, il arrête la pensée. Il cristallise, il alourdit, comme dirait Saint Basile, les Personnes divines et leurs relations par des qualités ! Dieu n’a pas de qualités, mes amis ! Même les scolastiques le diront. C’est très curieux : ce n’est pas parce qu’ils sont scolastiques, mais parce qu’ils ont hérité d’une mauvaise théologie. Même avec cette philosophie qui n’est pas si mauvaise - toutes les philosophies sont relatives - mais dès qu’il y a des qualités, ils se cognent contre leurs propres manières de penser. Parce qu’un vrai scolastique dira : Là où il y a des qualités, il n’y a pas de perfection. [...]