Homélie du père Eugraph pour le 10e anniversaire de la restauration du rite des Gaules

 

Le 27 juin 1954,

 

Permettez-moi, mes amis, en ce jour de fête de saint Irénée, dixième anniversaire de la restauration de l’ancien rite des Gaules, de vous parler précisément de cette restauration.

Plusieurs d’entre vous sont déjà accoutumés à prier selon ce rite, mais pour d’autres, il est encore inconnu. L’esprit de ce rite, au travers des saint Germain, des saint Irénée, remonte jusqu’à Jean de Patmos, le disciple qui écouta le battement du cœur divin. Il nous rappelle que la France a son mot à prononcer non seulement dans l’art, la politique ou la spiritualité, mais aussi dans la liturgie : le langage des anges. Il nous invite à tenir compte de la vocation unique de notre pays et de sa place dans le concert liturgique.

En 1944, pour la première fois, nous célébrions à nouveau la liturgie selon l’ancien rite des Gaules interrompu depuis mille ans. Il faut avouer que les initiateurs étaient un peu troublés. Cette messe restaurée n’apparaîtrait-elle pas comme quelque chose d’artificiel et d’archaïque, une composition arbitraire plutôt qu’un être vivant ? Il est si difficile de ranimer un chant oublié. Et voici, un miracle peu spectaculaire mais merveilleusement réel se produisit. Ceux qui, en 1944, participèrent à cette liturgie peuvent en témoigner Cependant qu’elle se déroulait, ils furent saisis d’un sentiment inattendu et il leur parut assister à une étrange résurrection. Deux anneaux brisés, deux tronçons de chaîne se rejoignaient lentement, se ressoudaient en un seul. Ce jour-là, un clair démenti était donné à la thèse intelligente et facile qu’une chose perdue l’est définitivement ou qu’un patrimoine abandonné ne peut être restitué. Et nous-mêmes reçûmes la confirmation qu’une tradition antique peut revivre.

La liturgie de l’ancien rite des Gaules est l’authentique expression du génie de la France. Ni sentimentale, efféminée ou superficielle, elle est courageuse comme ses paysans, ses rudes travailleurs ; hardie comme ses chevaliers, toujours franc-tireur de la victoire. Cette liturgie enracinée dans l’Apocalypse et transformée par l’esprit propre de notre pays, confesse la victoire du Christ, proclame la Croix triomphante, emporte l’histoire humaine de l’alpha à l’oméga, voyant le Seigneur « Qui était, Qui est, Qui vient », toujours victorieux. N’oublions pas que c’est aux environs de Lutèce que Constantin eut la vision de la Croix « Nika ».

Mes amis, le christianisme n’est pas qu’une religion de souffrance, comme certains veulent le voir. Cette attitude bornée détruirait le vrai message de la Croix porteuse de Vie. C’est pourquoi la liturgie de l’ancien rite des Gaules, qui dépasse le plan tragique par la sérénité, qui éclaire toute intelligence et arrache l’âme à ses ténèbres, qui prie pour ceux qui sont « dépourvus de sagesse » et « trace la mesure aux sages », qui éveille les âmes à la connaissance et « modère les zélateurs », celle liturgie majestueuse, quoique sobre, débordant sans cesse l’intérêt du « moi » pour rassembler l’univers entier, la nature visible et invisible, les mondes angéliques et la « fraternité de l’humanité », cette liturgie – pardonnez-moi de parler ainsi – peut et doit forger une âme neuve, conforme à la tradition de nos pères comme aux nécessités modernes. Vraiment patristique, vraiment orthodoxe, elle peut et doit redonner à ce christianisme vespéral qui, en Occident, est devenu nôtre – un peu sentimental, un peu découragé, un peu trop social, un peu trop inquiet – le soleil qui transperce le monde et le transforme. Liturgie non spectaculaire et théâtrale mais de chrétiens retrouvant en plénitude les paroles du Christ : « Courage, j’ai vaincu la mort », chant de ces fidèles qui peuvent être patients et supporter pacifiquement les épreuves.

Profitez, mes amis, de cette liturgie : qu’elle vous fortifie et vous communique cette puissance, cette dignité, cette grâce qui descendent d’en haut, du Père de lumière, à Lui la Gloire ainsi qu’à Son Fils et à l’Esprit-Saint, dans les siècles des siècles. Amen.