Lettre pastorale du père Eugraph sur la reconnaissance de notre rite par le synode Hors-Frontière

 

Le 12 mars 1960.

 

Bien-aimés frères,

Le Concile des évêques, à New York, de l’Église Russe hors frontières, au cours de sa réunion du 11 novembre 1959 – jour béni de la fête de saint Martin – après avoir entendu le rapport de Monseigneur Jean, Archevêque pour l’Europe occidentale, a officiellement sanctionné[1] notre vénérable rite des Gaules auquel nous sommes tous si profondément attachés.

Cette décision bienveillante fut prise à la suite d’une étude approfondie. Sur la demande de S.E. Monseigneur Jean, nous avions fourni les textes de la divine liturgie, du Propre, de l’office divin, ainsi que des études dogmatiques, historiques et liturgiques. Une grande partie de ce vaste matériel fut traduit en russe par les soins de l’Administration Synodale et remise aux membres du Concile.

Le Concile a approuvé notre rite et les coutumes propres à la tradition occidentale mais a émis quelques réserves. Ne voulant pas dépasser ses droits canoniques, et considérant qu’il n’avait pas compétence pour couvrir la défaillance de la réforme pascale grégorienne (la célébration des Pâques chrétiennes avant les Pâques juives), ni pour sanctionner les récentes libéralités de l’Église catholique romaine vis à vis du jeûne eucharistique, il a conditionné la reconnaissance de notre rite par deux restrictions : la célébration pascale en accord avec les Règles Apostoliques et les canons de l’Église indivise, et le jeûne eucharistique traditionnel.

La destinée de notre Église orthodoxe de France est entre les mains de Dieu, nais il est salutaire d’écouter avec humilité la voix conciliaire.

Dès maintenant, j’exhorte donc mes concélébrants et mes fidèles à observer le jeûne eucharistique tant pour les messes vespérales que pour les messes matinales. Les Instructions nécessaires seront données par les prêtres.

La reconnaissance de notre rite par le Concile, présente une grande valeur morale. Il est bon pour mieux en mesurer l’importance de préciser la situation de l’ancien rite des Gaules dans l’Église orthodoxe universelle et de rappeler les évènements des dernières années.

Les rites occidentaux sont aussi antiques que les orientaux, appartenant au patrimoine de l’Église indivise du premier millénaire.

En principe, ils n’exigent aucune nouvelle approbation de la hiérarchie. L’ancien rite des Gaules est même plus légitime en France que le rite oriental nouvellement venu ; cela seul suffit pour nous permettre de proclamer la légitimité de nos traditions.

Certes, après le schisme entre l’Orient et l’Occident, l’Église orthodoxe se trouva de facto privée des rites occidentaux, mais elle ne les mit jamais en doute ; à maintes reprises, elle en reconnut officiellement l’Orthodoxie (nous avons publié plusieurs Décisions des patriarches d’Orient et du Saint-Synode de Russie).

La voix de la haute hiérarchie orthodoxe a consolidé le principe de nos droits.

Néanmoins, par souci d’obéissance à l’autorité de l’Église, nous n’avons entrepris la célébration des rites occidentaux, de l’ancien rite des Gaules en particulier, qu’à la suite du célèbre Décret de 1936 du patriarche Serge de Moscou, nous conformant à ses directives. Ce Décret historique fut suivi de plusieurs encouragements émanant de hiérarques orthodoxes.

Il pouvait sembler que tout ceci assurerait une paix durable entre les frères et témoignerait du bien-fondé de notre liturgie dans l’unité de l’Église. Malheureusement, à notre grand étonnement, l’Exarchat Russe du Trône Œcuménique a non seulement douté de nos droits, après vingt ans de célébration, mais essayé d’arrêter arbitrairement cette célébration en usant de mesures aussi radicales qu’injustifiées. Il est évident que l’opinion d’un exarchat, si respectable soit-il, ne peut devant la « nuée de témoins » ébranler notre certitude d’agir canoniquement et orthodoxement. Et notre premier devoir était de ne pas céder à cette pression isolée. L’attitude très regrettable de l’Exarchat Russe du Trône Œcuménique, a compromis cependant la bonne entente entre les français orthodoxes et les membres de l’Exarchat. Nous avons donc cherché avec tristesse et bonne volonté à nous séparer d’eux dans la paix.

Un groupe de personnes de cet Exarchat, exerçant une certaine influence sur l’opinion publique, s’obstine à troubler les esprits.

Il cherche à nous prendre en défaut et, pour ce, prétend que notre rite est illégitime parce que non approuvé par la hiérarchie.

Que la paix descende sur nos adversaires, le Saint Concile a approuvé l’ancien rite des Gaules, et l’Archevêque Jean exprime le désir de le célébrer pontificalement dans notre Église, mettant ainsi un terme aux troubles stériles.

Voilà pourquoi, mes bien-aimés frères, la Décision conciliaire du 11 novembre 1959 et l’action paternelle de l’Archevêque Jean présentent pour nous une telle valeur morale.

Rendons des actions de grâces au Saint-Esprit qui inspira les saints évêques du Concile et remercions filialement Son Éminence le Métropolite Anastase, Président du Concile, ainsi que Monseigneur Jean qui a défendu notre cause et compris par son cœur aimant l’importance de notre rite traditionnel, gage de l’avenir de l’Église orthodoxe de France.

En demandant pour vous à la Divine Trinité, la bénédiction et la grâce abondante, je demeure votre pasteur indigne et aimant.

 


[1] Ou « validé »