Les relations de l'Eglise et l'Etat

 

Extrait du cours de Droit Canon du 21 octobre 1959.

 

[...] Combien de fois, dans la destinée de notre petite Église de France, j’ai entendu des politiciens dire : « mais de quel côté êtes-vous ? Droite, gauche... »
Et un jour, quand nous étions encore au Patriarcat de Moscou, l’un deux me  dit : «  mais alors vous êtes pour Staline ! »
Et je répondis  : « pas du tout ! »
-    « Mais alors vous êtes pour Truman ! »
-    « Non ! »
 Et je répondis encore : « je n’ai jamais parlé pour Staline. » (C’était l’époque où Staline vivait encore. )
-     « Mais alors pourquoi vous parlez pour Truman ? »
-     « Mais je n’en parle pas ! »
-     «  Mais pourquoi vous n’êtes pas pour ou contre ? »
-     « Moi, je parle de Jésus-Christ ! »
-     «  Oh ! dit-il, ça, c’est un genre de politique très dangereuse : on ne sait pas où vous êtes ! »
 
Il avait raison :  vous êtes progressiste, alors on vous laisse tranquille. Si vous êtes plus ou moins avec telle ou telle tendance, vous serez  tranquille. Mais tout d’un coup, « on n’est pas ». Et alors, les politiques deviennent tellement inquiets qu’ils se demandent s’ils ne sont  pas en face d’un homme qui cache quelque chose.
Et un jour encore je parlais avec un autre politicien sur le même sujet, il me dit :« c’est impossible, mais c’est impossible, on doit prendre des positions ! »
Mais  quand l’apôtre Paul disait dans l’épître aux Galates qu’il n’y a pas les circoncis et incirconcis, les païens et les juifs –  disons aujourd’hui : le bloc oriental et le bloc  occidental  parce que nous sommes dans la politique, qu’il n’y a pas de gauche ou droite, ainsi de suite – , c’est parce qu’il y a la nouvelle créature.
Nous sommes, nous les chrétiens,  crucifiés au monde. Et on pense toujours qu’on est crucifié au monde parce qu’on est, admettons, fanatique d’une idée. Pas du tout ! Le monde vous crucifie parce que vous n’êtes pas classé dans un groupe quelconque. Si vous êtes même extrême ou ennemi politique, si, admettons,  je suis communiste et l’autre de l’action française, ou si je suis pour 13 mai ou l’autre contre 13 mai, ou si je suis avec les arabes ou contre les arabes, si je veux qu’ils soient indépendants ou qu’ils soient français, cela ne pose pas réellement de problème.  Mais si  je suis  en dehors, alors le monde ne le supporte pas.
 
La vision universelle de l’Église est tellement insupportable. Il y a une hauteur qui lui est insupportable. Citons le  vicomte d’Halifax, cet Anglais, qui a parlé du paradoxe du Christianisme. Il dit : « le monde ne peut pas supporter, dans le Christianisme, non pas ses idées précises, mais son universalisme. » Oui, le monde ne le pardonne pas. [...]