Homélie du 6 août 1961 - Transfiguration [1]

 

Ép : 2 Pi 1, 16-18 ; Év : Mt 17, 1-9.

 

Au centre de la Transfiguration, se trouve la manifestation de la Divine Trinité : le Fils, la voix du Père, la nuée qui les couvre et qui porte le Père et le Fils et qui est portée par eux  : le Saint-Esprit ; tous trois sont dans la lumière insaisissable, incréée, dont les Écritures disent : « Dieu vit dans la lumière inaccessible. »

Cependant ce n’est pas de la Lumière, de la Divine Trinité (des Trois égaux en Un) dont je veux parler aujourd’hui, mais d’une autre triade, composée de trois inégaux et qui sont coexistants dans une certaine mesure.

Déjà l’apôtre Paul dit : « Que le corps et l’âme et l’esprit soient sanctifiés. » Paul distingue une échelle de trois : le corps, l’âme et l’esprit.

L’Évangile nous présente une autre triade autour du Christ : Moïse qui vient de l’enfer, du séjour des morts ; Elie, qui vient du paradis ; les apôtres, qui sont sur terre.

Les trois mondes sont représentés, car la lumière de la gloire divine a éclaté.

Mais je veux insister aujourd’hui sur une triade qui concerne directement l’existence de l’Église.

Le Christ prie ; son visage devient plus brillant que le soleil, ses habits plus éclatants que la neige, et il s’entretient avec Moïse et Elie. Tout est spirituel, transfiguré. (Le fait que les apôtres s’endorment rappelle que le Christ priait la nuit et que la Transfiguration eut lieu de nuit. En effet, le Christ se retirait chaque soir à six heures pour prier.) Voilà la première couche : l’Église priante, illuminée, qui veille.

Deuxième couche : celle des apôtres Pierre, Jacques et Jean, qui sont assoupis. À un moment donné, à cause de la lumière, ils s’éveillent et voient la Gloire : la couche supérieure de l’Église pénètre et se dévoile à eux. Pierre a une réaction matérielle : il veut construire des tentes, « fixer » la gloire divine par une constitution, une organisation, dans un lieu, par une théologie scolastique. Les trois sont éblouis, même si Pierre n’est pas à la hauteur de cette manifestation. Ils ont la révélation de la Trinité et l’Évangile dit qu’ils gardent le silence sur ce qu’ils avaient vu.

Ces deux couches se situent en haut du Thabor.

Puis le Christ revient dans la plaine. Il y trouve les neuf autres apôtres, ses disciples, la foule. On leur a amené un possédé mais les apôtres ne peuvent chasser le démon. Devant leur incapacité, le Christ est déçu et prononce des paroles amères : « Ô race incrédule et perverse, jusques à quand devrai-Je vous supporter ? » (Lc 9, 41) Voilà la troisième couche.

Ces trois couches sont toujours présentes dans l’Église historique. Le haut lieu spirituel où dans la lumière inaccessible le Christ converse avec Moïse, Élie, la multitude des saints dont vous entendez les noms pendant la liturgie, et tous les peuples, toutes les nations qui vivent dans la lumière du Christ, veillant avec lui ; lieu de la vigilance et de la prière, des symphonies inconnues, des êtres illuminés, des intimes de Dieu à qui la Trinité se manifeste — de cette Église on parle peu.

Le lieu où ceux qui sont haut montés ne vivent pas encore dans la lumière : ils n’ont pas encore la force de la vigilance, leurs impulsions sont encore humaines, mais ils sont admis à être les témoins, ils ont la révélation de la lumière.

La plaine, lieu de l’incrédulité, de l’absence de vie spirituelle.

En considérant cette dernière couche, l’on est surpris et l’on se dit : Seigneur, est-ce possible ? Est-ce là Ton œuvre ? Sont-ils chrétiens ? Quel manque de foi, d’élévation, quelle platitude, quelle impuissance dans le monde, quelle faiblesse devant le Malin qui veut posséder l’humanité !

Mes amis, si vous voyez l’Église dans le plan de la plaine, avec ses évêques, ses prêtres, ses fidèles qui n’ont pas la foi ardente et encore moins la lumière, qui ne peuvent rien contre le mal, n’oubliez pas que cet aspect-là, c’est la matière de l’Église.

L’autre aspect, celui de l’âme, est celui des trois apôtres, endormis mais en contact avec la Divine Trinité. Mais ne vous arrêtez pas là !

Pierre, Jean et Jacques sont ceux qui peuvent vous montrer la troisième couche, celle de l’esprit, l’Église où Dieu-Trinité parle avec les saints.

Le Thabor lumineux, la montagne, le Fils de l’homme ; l’incrédulité, la plaine, le possédé... Et si vous êtes troublés par celui-ci, rappelez-vous, il est lui aussi l’œuvre de Dieu, il est en Christ.

Jusqu’à la fin des temps, il y aura toujours dans l’Église le mont Thabor dans la lumière divine et, en bas, dans la plaine, les possédés. Quand viendra l’accomplissement des temps, tous, même ceux qui sont dans l’enfer, les possédés, monteront afin d’être dans la lumière du Christ et ils converseront avec la Divine Trinité, en cet entretien éternel, amical, des intimes de Dieu inaccessible.

À lui soit la gloire, Père, Fils et Saint-Esprit, aux siècles des siècles. Amen.

 

 


[1] D’après une publication dans Présence Orthodoxe n°54.