Discours de l'évêque Jean de Saint-Denis lors de son sacre

 

Discours sur l’épiscopat de l’évêque Jean de Saint-Denis lors de son sacre épiscopal le 10 et 11 novembre 1964, publié dans « Cahier Saint-Irénée » n°50.

 

Je tremble devant le pouvoir épiscopal, le plus élevé et le plus redoutable dans l’Église.

L’évêque est avant tout le porte-parole de la vérité révélée : « Allez, enseignez toutes les nations... en gardant tout ce que Je vous ai enseigné », ordonnait le Seigneur en quittant visiblement le monde. Ce testament du Maître à Ses disciples : enseignez et gardez, s’adresse à tous les successeurs des Apôtres. Quelle responsabilité ! Car le Christ, selon sa promesse, n’est invisiblement présent dans l’Église que si la bouche de Ses évêques annonce sans défaillance la vérité révélée. L’évêque est appelé à la proclamer sans crainte devant les puissants de ce monde et devant l’opinion publique. Mais un autre courage lui est aussi réclamé, celui de ne point affaiblir par fausse charité l’enseignement qu’il doit dispenser à son troupeau.

L’évêque n’a plus son opinion, ses idées, ses penchants psychologiques. Il n’est pas un maître parlant en son propre nom. Il n’est que le disciple des disciples de l’Unique Maître, notre Seigneur Jésus-Christ qui a dit : « Je ne fais pas Ma volonté, mais la volonté de Mon Père qui M’a envoyé ». L’évêque s’efface totalement devant la tradition pure, issue du Père, par le Fils et Ses Apôtres. L’évêque place la vérité au-dessus de l’utilité pour l’Église.

L’évêque est un pasteur, veillant sur son troupeau. Le mot grec « episcopos » signifie le « surveillant », et l’apôtre Pierre écrit que les pasteurs veillent la nuit sur leurs troupeaux. Saint Léon le Grand, dans un de ses sermons de Noël, prêche que la première qualité de l’évêque est la vigilance. Voici pourquoi son cœur est un regard attentif, qui ne s’endort pas, toujours posé sur ses fidèles.

Le pasteur donne sa vie pour ses brebis, sa vie est au service de ses brebis. Ainsi, l’épiscopat est la mort totale de « l’ego ». En haut, il n’est que disciple et porte-parole du Christ, en bas, il n’est que serviteur vigilant du clergé et du peuple royal.

L’évêque est liturge. C’est lui qui doit entraîner tous à la prière, à l’eucharistie, aux actions de grâces, à la Divine Trinité, au sacrifice pacifique qu’il offre pour lui et pour tous.

Tout ceci est redoutable et difficile. Je m’en sens indigne et incapable, mais j’ai des consolations, j’ai des espérances...

C’est la voix unanime du clergé, et des fidèles de l’Église de France qui m’a élu évêque. Je suis porté, soutenu par leur amour et leur confiance. Je puis le dire, ici, sans honte et avec audace : je les aime de tout mon être. Depuis ma jeunesse, j’ai un amour total de la France et je me suis mis au service de son Église.

Récemment, un encouragement de Sa Béatitude Monseigneur Anastase m’a été donné et je possède l’appui paternel et puissamment spirituel de celui qui doit me sacrer et dans lequel je mets toute ma confiance : Vous, monseigneur Jean ! Mon cœur se réjouit de ce que Vous, monseigneur Théophile, soyez accouru, pour imposer les mains sur le premier évêque de France, car le peuple roumain, si orthodoxe, de culture latine, est tout proche du peuple français. Les prières et les encouragements des autres évêques orthodoxes qui m’ont témoigné de la sympathie me fortifient aussi.

Je m’en remets, de plus, à la protection et à l’intercession des saints, aussi bien d’Occident que d’Orient ; en premier lieu, de saint Martin dont nous fêtons la mémoire, saint Martin qui a si fortement marqué la destinée de la France et, par excellence, celle de notre Église, de saint Irénée, notre Père aimé, homme apostolique, de saint Hilaire, sainte Geneviève, sainte Radegonde et tant d’autres saints de notre pays dont la protection couvre notre Église. Et que dire des saints de l’Église universelle : Denys, Basile, Photius ! Enfin, des saints nouvellement canonisés, Séraphin le Pneumatophore, Nicodème de la Philocalie, Nectaire d’Égine qui aimait la France et prophétisa la renaissance de l’Orthodoxie occidentale, Jean de Cronstadt dont j’ai la grâce insigne d’être le premier à porter le nom, juste après sa glorification. Il me lie à la prière ardente du peuple russe, il me rappelle l’amour pastoral, la foi impétueuse, le chant eucharistique.

Mais, au-delà de tous les saints, je me confie à Celle qui est Mère intacte et Vierge féconde, Marie, notre Mère à tous. Sous son manteau invisible et sensible, je place mon épiscopat et l’avenir de l’Église catholique orthodoxe de France.

En définitive, c’est vers la Divine Trinité que monte mon appel, vers Son amour ineffable, Elle qui du néant créa le monde, communiquant Son abnégation amoureuse, l’être et la vie à ce qui n’existait point, Se limitant étant sans limites, Elle qui dans Son amour sans bornes Se pencha sur nous malgré nos péchés. En effet, le Père a tant aimé le monde qu’il a donné Son Fils Unique ; Son Fils n’a pas hésité à prendre la forme d’esclave, et l’Esprit distribue la vie à tous, aux bons et aux méchants, en Se livrant totalement afin de déifier la poussière.

Lorsque je pense à Toi, ma Lumière incomparable et Unique Trinité, à Ton abnégation, à Ton amour, à Ta largesse, à Ta miséricorde, à Ta mystérieuse économie, en dépit de mon indignité, ma nullité et mon péché, j’accepte l’épiscopat, car si je suis néant, Tu es Créateur de rien, si je suis pécheur, Tu es rédempteur, si je suis un mort, Tu es ma vie. Ton amour est mon gage et ma certitude.

Je ne crains plus, car tout est de Toi, par Toi, en Toi.

Que le Père, le Fils et le Saint-Esprit viennent à mon aide.

Messeigneurs, priez pour moi.

J’accepte... et ne dis rien contre.