Homélie du 24 janvier 1965[1]

 

Homélie publiée aux éditions de Forgeville n°6.

 

Ép : Eph 4, 1-7 ; Év : Jn 17, 11-25

 

Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, amen.

Ce dimanche, troisième Dimanche de l’Épiphanie[2], est consacré, ainsi que toute la semaine, aux prières de l’union des Églises, aux prières de l’union des chrétiens, à l’unité parmi les peuples et la paix parmi les nations. C’est un grand événement, une grande chose dans notre temps que ce désir d’union et de paix qui est aussi fort parmi les chrétiens que parmi les athées. Ce désir de paix et d’union est admirable, il est nettement inspiré par En-Haut. Mais en même temps, il y a une phrase dans l’Apocalypse qui m’effraye. Elle dit : paix, paix, et la paix ne vient pas ; on doit désirer l’union et la paix mais on doit aussi la construire et coopérer à cette union.

Et comment peut-on arriver à être un travailleur efficace de l’union ? L’apôtre Paul dans son épître et le Christ dans sa prière sacerdotale que nous avons lue dans l’Évangile nous indiquent le chemin. Car chacun doit commencer à faire la paix et l’union autour de lui ; ainsi il collaborera à la paix et à l’union universelles. On doit commencer par nous-même et par notre entourage. Le Christ dit : « qu’ils soient un comme Nous sommes Un ». C’est à dire qu’ils soient un, comme le Christ est un avec le Père et qu’ils sont un seul Dieu, en deux personnes. Ils sont un, et deux personnes totalement libres. Vous voyez déjà l’attitude que nous devons prendre. Et l’apôtre Paul, pensant la même chose de cette unité dans le discernement des personnes, applique cette même doctrine efficace, unique, qui peut unir les gens ; il l’applique dans les dogmes de l’Église. Il dit : « une multitude de dons mais un seul Esprit ; Une multitude de ministères, mais un seul Seigneur. Une multitude d’actions mais un seul Dieu qui est au-dessus et en tout[3] ». Vous voyez, pour arriver à une véritable union, on doit aussi accepter une véritable multitude. L’union dans la confusion ou la soumission, ce n’est pas l’union. Prenons les paroles de l’apôtre Paul. Il y a « un seul Esprit, un seul Seigneur, un seul Père » et tous les trois sont un seul Dieu, un seul Dieu en trois personnes.

La même chose pour nous, les hommes. Comment devons-nous commencer l’œuvre d’union ? Paul commence par l’Esprit et les dons et il a raison. On ne peut pas juger les choses sans, comment dirais-je, voir les dons. Pour aller vers l’union nous devons reconnaître en chaque chose, en chaque époque, en chaque peuple, en chaque individu, en nous et en notre voisin, quel est son don spécifique. Car l’apôtre Paul dit : il y a beaucoup de dons et il en énumère quelques-uns : intelligence, sagesse, foi, don des miracles, don des langues. Que signifie, avant tout, de voir les dons ? C’est voir en notre prochain et en nous-mêmes, dans un groupe de gens, ou dans une nation, ou dans une époque quel est son don. Et admirer ce don qui vient du Saint-Esprit. Car la désunion commence lorsque nous voulons que Jacques qui a le don de la sagesse, Pierre qui a le don de l’intelligence – ce sont des noms anonymes, ce n’est ni l’apôtre Pierre ni Jacques – changent et que ce soit Pierre qui ait la sagesse et Jacques qui ait l’intelligence. On n’aime pas Pierre parce qu’il n’a pas le don de l’autre. On doit apprécier avant tout le don de chacun et ne pas demander à l’autre un autre don qui doit être possédé par quelqu’un d’autre. Ne pas réclamer à quelqu’un qui a la foi, l’intelligence, et à quelqu’un qui a l’intelligence, la foi. Et en appréciant le don de chacun, commence la paix. Mais si par contre, nous n’avons pas cette distinction, il y a confusion ou soumission. Combien de gens veulent faire le bonheur des autres, le salut des autres à leur manière et pas à la manière des dons du Saint-Esprit, pour cette personne ou pour ce groupe, ou pour cette nation, ou pour cette famille avant tout.

 Et nous-même ? Chacun de nous a un don. Nous avons un don particulier, un autre don : ne pas prétendre posséder le don d’un autre. Si nous possédons un don, ce n’est pas pour nous qu’il est donné, c’est pour les autres. Tu as le don des langues, parles pour les autres. Tu as le don de la foi, crois pour ceux qui ne croient pas. Tu as le don de la prière, prie pour les autres, mais n’exige pas que les autres prient comme toi. Tu as le don de l’intelligence, donne-la, elle ne t’appartient pas, elle appartient à tous. Chacun a son don et tous ont un don original. Chacun a une personnalité unique. Dès que vous avez vu les dons, ils parlent du Seigneur. Et qu’est-ce qu’il dit relativement au Seigneur ? Il dit qu’il y a différents ministères. Chacun occupe sa place, respectons la place de chacun dans le monde. Là est le ministre de l’Église, là est l’évêque, d’autres sont laïcs, fidèles. N’importe quel métier, n’importe quelle place,. célibataire ou moine. Nous avons tous une vocation, une place sur la terre, unique, irremplaçable, même si elle apparait tout à fait petite. Une grande place ou une petite place, c’est tout aussi indispensable, comme dans un mécanisme. S’il y a une petite chose qui hésite ou qui est brisée, la montre ne marche pas bien. Une place effacée est aussi indispensable qu’une place en vue de tous. Respectez chaque ministère car il y a une multitude de ministères.

Ayez une attitude particulière pour chaque être humain. Premièrement, il est homme, nous sommes tous hommes, nous sommes tous un. Mais il n’est pas seulement homme, il a son don, profitez de son don, ne le réclamez pas à un autre. Et respectez sa place, son ministère qui est donné aussi. À chacun sa place et à chacun son activité, son action, sa réalisation dans la vie. Mais il y a un seul Père qui est au-dessus de tout et qui est en tous.

Tel est l’enseignement de l’apôtre Paul. Si nous voulons être vraiment des bâtisseurs de cathédrales et de toute l’humanité unie, et de tous les chrétiens unis, si nous voulons vraiment bâtir pierre par pierre cette unité dans la paix du monde, suivons l’enseignement du Christ, quand nous écoutons la prière du Christ : « Qu’ils soient un comme Nous sommes Un ». Le Christ exige de nous cette collaboration. Et enfin, commençons par nous, par notre famille proche, par notre travail, par notre Église, par notre peuple. Et ainsi de suite, du petit vers le grand, car le Christ a dit : « tu as été fidèle dans les petites choses et je te confierai des grandes choses[4] ». Tel est l’enseignement de l’Église, tel est le travail de l’union à l’image de notre Divine Trinité, Père, Fils et Esprit-Saint.

 


[1] D’après la retranscription d’un enregistrement audio.

[2] Ou deuxième dimanche après la Théophanie.

[3] 1 Co 12, 4-6

[4] Mt 25, 23