LES CANONS ET LE XXe SIÈCLE

 

Article publié en 1934 dans le premier bulletin, « Anastasis », de la Confrérie Saint-Photius republié aux éditions de Forgeville n°5.

 

Anthème VI, Marx, Bebel, Tolstoï, V. Soloviéff et sa « Théocratie », Sombart, Jean Jaurès, Photios II, Briand, Swederblom et le Christianisme pratique, Philarète de Moscou, Gandhi, métropolite Serge, les « Deux Cités » de Boulgakoff, les deux « Internationales », le saint-simonisme, le « plan quinquennal », l’ « église vivante », le fascisme, le communisme, le dogme du Vatican, l’ethnophilétisme, le pacifisme, la question des minorités, la collectivisation, la Société des Nations, Wilson, les derniers schismes dans l’Église orthodoxe... ont-ils quelque chose de commun entre eux ?

Les uns sont des ennemis de la religion, les autres – des chrétiens. Certains d’entre eux sont des hérétiques, d’autres – des fidèles. On trouve parmi eux des spiritualistes et des matérialistes. Certains de ces phénomènes sont engendrés par la volonté, d’autres – par la pensée. Plans d’existence différents, époques et pays divers.

Il serait plus aisé de confondre l’eau avec le feu que d’unir ces noms et ces phénomènes opposés à tel point. Pourtant, l’esprit non encombré par les détails voit clairement ce qu’ils ont de commun entre eux. Ils se préoccupent tous des questions sociales, c. à d. ils cherchent tous une définition de la société humaine, de la collectivité et de ses buts, des rapports entre les différentes collectivités (classes, nations, États et groupes religieux), ainsi que de l’organisation parfaite de la société.

La question sociale prime toutes les autres, qui sont subordonnées à celle-ci : la science est suspecte si elle ne sert pas à atteindre les buts que lui pose l’idéologie sociale soit prolétaire ou fasciste ou tout autre. Au siècle des Lumières, l’Allemagne n’aurait pu renier Einstein aussi aisément qu’aujourd’hui, sans le régime national-socialiste. La religion même est traitée suivant le bien ou le mal qu’elle est supposée commettre à la collectivité. C’est « l’opium pour le peuple » pour les uns, ou bien, le soutien de la nation de l’État pour les autres. Nous vivons dans une période d’histoire qu’on peut appeler sociale par excellence. Mais, si nous vivons dans une période sociale par excellence, il est naturel de poser la question suivante : quelle est la société parfaite, quoique composée d’individus imparfaits, parfaite par ses origines, par ses buts et par son organisation ?

La réponse s’impose d’elle-même : c’est l’Église. Elle est parfaite dans ses origines, car Elle est fondée par Dieu-Homme : Dieu parfait et homme parfait.

Elle est parfaite dans ses buts, qui sont : la déification du monde, le salut de l’Univers, la conduite de l’Humanité à la béatitude éternelle, l’enrichissement de chacun par une richesse abondante...

Elle est parfaite dans son organisation, car Elle est guidée par le Saint-Esprit : toutes les autres formes de la vie sociale sont liées à un lieu, un peuple ou une époque déterminée. Par contre les formes de la vie de l’Église s’adaptent à toutes les époques, à tous les lieux et à tous les peuples. C’est une collectivité parfaite à tel point, que l’apôtre Paul l’appelle « Corps ». Elle atteint cette unité sociale sans violence dans la plénitude de la liberté individuelle. Pour mieux faire apparaître sa perfection, citons quelques exemples de l’harmonie et de la richesse de son organisation.

Son Fondateur est en même temps un roi et un prolétaire. Il tient dans sa main un marteau en qualité d’apprenti de Joseph le charpentier, et le globe de l’Univers comme une balle d’enfant.

Le pouvoir de l’Église est héréditaire et, comme tel, possède l’expérience du pouvoir héréditaire, sans avoir à craindre la dégénération, car elle n’hérite pas par le sang...

Aucun État démocratique ne tient en telle faveur les pauvres. Parmi les saints, ses héros, il est beaucoup plus malaisé de découvrir un riche qu’un mendiant...

Ses femmes jouissent des droits électoraux. C’est la Vierge Marie qui décida en dernier ressort si le Christ devait être Chef de l’Église...

Les enfants sont des citoyens égaux aux autres, ayant leur part au Calice...

Les classes exploitées, les esclaves, trouvent dans l’Église la liberté : le pouvoir temporel des citoyens fidèles.

La société lutte contre les conditions antihygiéniques : l’Église triomphe sur la mort...

Elle n’est pas atteinte par le chômage, car la moisson dépasse toujours la quantité des travailleurs. Son trésor est impérissable, et pour cela Elle ignore la crise.

Tous les livres de ce monde seraient insuffisants pour décrire la perfection de cette Société.

Si l’Église est une unité sociale parfaite, le monde contemporain recherchant les formes d’une société parfaite, il nous apparait clairement que tous les mouvements idéologiques contradictoires, toutes les personnes d’opinions opposées, citées au début de cet article sciemment ou inconsciemment cherchent l’Église, parlent de l’Église, luttant contre Elle ou en La servant, – peu importe !... Nous vivons dans une période ecclésio-sociale.

Ayant comme base l’idée synthétique de notre époque, nous pouvons établir des distinctions dans les noms et les idées hétéroclites.

La première distinction la plus apparente que nous voyons en ceux-ci : l’effort intellectuel de l’humanité d’après-guerre contrairement à celle du XIXe et du début du XXe siècle est surtout dirigé vers l’élaboration d’un plan d’action pratiquement réalisable, et non vers l’invention de théories politiques et sociales. C’est là que réside la différence entre Staline et Marx, Pie XI et Léon XIII, les mouvements schismatiques actuels et les slavophiles ; Photios II et ses compagnons de lutte, et Anthème VI et Léontieff ; le métropolite Serge et le métropolite Philarète ; les États contemporains et les idées sociales du XIXe siècle, le racisme et Fr. Nietzche, etc. etc. Pour la même raison, les maîtres contemporains et les livres modernes sont ceux, qui enseignent comment on doit construire la société humaine, et non quels sont les origines et les buts de cette société.

Il existe un livre qui nous indique où on peut trouver l’Église, nous définit les formes de sa vie en tant que société, nous enseigne comment on doit construire les formes de la vie de l’Église. Il est écrit avec la participation du Saint-Esprit. Ce livre s’appelle – Les Canons. Autour de ce livre se mène actuellement la lutte pour l’exécution de ses principes dans la vie de l’Église. Si l’Église, comme société parfaite est au centre de notre époque, il est évident [que] dans le bas fond de toutes les divergences de la vie actuelle (ce qu’on appelle les schismes actuels dans l’Église orthodoxe) se cache la cause principale – c’est la lutte autour des principes canoniques.

Pour la même raison les « Canons » doivent occuper la place primordiale dans la littérature moderne. Le but de nos articles canoniques est précisément de mettre en évidence l’extrême importance de ce livre et de lutter pour l’exécution de ses principes dans la vie de l’Église.

À vous, Canons incomparables et divins, nous voulons consacrer nos forces, nos pensées, nos sentiments, mettre notre croyance ! Nous, qui sommes les fils du XXe siècle et les enfants de l’Église, nous voyons en vous la Pierre Angulaire de toute notre vie. Vous êtes le gage de notre victoire finale.

 

Dans l’article suivant, nous nous arrêterons sur la différence entre l’Église, le monde et un troisième facteur, situé entre les deux. Dans cet article nous préciserons qui devons-nous servir, pour qui devons-nous prier, et contre qui devons-nous lutter. Cette tâche accomplie, nous essayerons de faire apparaître les hérésies canoniques actuelles et nous leur opposerons les principes fondamentaux et invariables de la vie sociale de l’Église. Vers la fin de l’année, nous publierons en supplément à notre journal une analyse des schismes actuels de toute l’Église orthodoxe, de leurs apparitions et de leurs causes, et des moyens de les surmonter et d’atteindre de nouveau l’unité.

 

(Eugraph Kovalevsky fait ici référence à article non répertorié dans les archives actuellement disponible de la confrérie Saint-Photius)