Homélie du 27 janvier 1957[1]

 

Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, Amen.

La semaine de prières pour l’union des Églises qui a lieu tous les ans en janvier pose devant nous ce problème essentiel : y a-t-il possibilité pour les chrétiens séparés de s’unir ? Que le désir de rapprochement, sincère ou non sincère, existe, cela est certain. Que, depuis une trentaine d’années, entraînés par des personnes inspirées et prophètes de notre siècle, les chrétiens commencent à se rencontrer, cela est certain. Et se rencontrer est déjà beaucoup !

Lorsqu’en 1923 (1924 ou 1925, je ne me souviens plus de l’année), un philosophe russe, Nicolas Berdiaeff, arrivé à Paris, organisa un cercle où se retrouvaient des théologiens protestants, catholiques-romains et catholiques-orthodoxes, ce fut une telle nouveauté que les premiers temps ces théologiens cultivés se disaient les uns aux autres : « Tiens, vous pensez ainsi ? ». Ils se connaissaient par les livres et n’avaient jamais eu de contacts personnels.

La séparation était très forte comme dans les sociétés de province où se forment les clans, où telle famille ne fréquente pas telle autre parce que le niveau de fortune est différent, parce que « quelque chose » est survenu dans la vie d’une arrière-grand-tante. Ces clans, où l’on se regarde à peine, où l’on se salue poliment le dimanche à la sortie de l’église, évitant de s’inviter et surtout de se parler. Le paradoxe était tel que les chrétiens vivaient côte à côte sans se fréquenter, sauf peut-être dans quelques villages d’Alsace ou de Pologne. En Pologne, un prêtre, un rabbin, un pasteur mangeaient parfois ensemble ou jouaient aux cartes, mais c’étaient des rencontres de bon voisinage de gens du même métier.

Le climat a changé. Un courant réel, sincère, de rencontres, de « dialogues » comme l’on dit maintenant, parcourt notre époque. Une certaine attitude d’amabilité entre chrétiens s’est installée et cela semble nouveau. Étrange réaction ! Ce mouvement d’union est encore fortifié par la semaine de prières qui commence à la chaire de l’apôtre Pierre, se termine à la conversion de l’apôtre Paul, et à laquelle les Orientaux ont ajouté la fête des Trois Docteurs, Basile le Grand, Jean Chrysostome et Grégoire le Théologien. Elle est à l’initiative de l’Église anglicane et a permis que, dans le monde chrétien, même dans les paroisses, il soit parlé des autres Églises et des autres frères. Des organisations œcuméniques d’union des Églises fonctionnant au nom de différentes confessions ont été fondées.

Il est indiscutable que le mouvement primordial – et dynamique actuellement – pour l’union des Églises, en dehors de cas isolés comme celui de Berdiaeff qui était russe, vient du monde protestant. Ce sont les protestants qui ont exprimé sous cette forme la nostalgie de l’Église Corps du Christ : ce sont eux qui furent les pionniers. Remercions Dieu pour cet effort de compréhension.

Les rencontres, les sympathies ont-elles fait avancer le rapprochement des Églises, ont-elles ouvert une unité concrète, profonde, spirituelle ? Je ne le crois pas. Les chrétiens sont devenus de bons voisins mais chacun est resté sur ses positions, voulant avoir sans rien céder. Je sais, il est impossible de faire des compromis dans les questions religieuses, mais une bonne entente dans les questions secondaires n’est pas non plus une solution. Et cette période de tension vers l’union des Églises n’a pas donné les résultats espérés par les pionniers. Pourquoi ? Les causes sont nombreuses. Mais, en cette fête de saint Jean Chrysostome, de saint Sabbas et de sainte Nina, apôtre de la Géorgie, ces saints réellement œcuméniques de différentes époques et races, je voudrais insister sur un seul point : pourquoi l’unité des Églises n’a-t-elle pas fait un pas en avant ?

Il faut, pour préparer l’unité des Églises, le rapprochement des chrétiens et des confessions, aimer avant tout la plénitude. En effet, mes amis, peut-on s’unir dans le minimum vital ? Tous nous croyons en Dieu, tous nous croyons en Jésus-Christ, tous nous acceptons le baptême. En cela nous sommes unis. Nous ne sommes pas séparés autour de Dieu, autour du Christ, ni dans le baptême. Les chrétiens de n’importe quelle dénomination croient à tant de choses semblablement qu’en vérité l’unité existe déjà. Et pourtant, nous savons que cette unité n’est pas parfaite. Elle ne réside donc pas que dans les dogmes essentiels, mais aussi ailleurs. Ainsi les orthodoxes ne comprennent pas 1’enseignement du Saint-Esprit comme les Romains, ceux-ci ne voient pas les sacrements comme les protestants, la hiérarchie est diversement envisagée dans les confessions. D’où viennent ces divergences et comment les dépasser ? Faut-il chercher un point de convergence et écarter un autre point difficile ? Pour chacun sa conception représente une certaine valeur et la vérité. Rester sur ses positions ? Cela devient du bon voisinage sans vie en commun. Seul le goût de la plénitude peut amener une solution. La plénitude de la vérité et le goût de la plénitude débordante de la tradition chrétienne peuvent seuls créer le climat dans lequel l’union des Églises sera moins éloignée, nous faire profiter de toute la richesse déposée par le Saint-Esprit dans l’Église.

Mais il faut lutter contre deux sentiments : l’isolement satisfait de soi-même et la domination de l’autre. Au sein de cette plénitude sur laquelle j’insiste, dans cette symphonie fraternelle, demandons-nous : où est ma place, suis-je Prophète, Apôtre, Évangéliste ? Car pour parvenir à l’unité parfaite du Corps du Christ, il faut premièrement, comme dit 1’apôtre Paul, aimer cette plénitude, ce corps cosmique, catholique, universel qui contient tout, l’univers et nous, et, en même temps, retrouver avec humilité et mesure notre propre place, comprendre que nous sommes un élément de ce tout, sans être tout, ni en dehors de ce tout. Cette attitude de l’âme et de l’esprit construira le climat propice à l’union des Églises.

Par l’intercession de la toute Sainte, pure Vierge Marie, de saint Jean Chrysostome, saint Sabbas, sainte Nina, saint Irénée, que descende sur nous cette lumière de paix et de plénitude. Par leur intercession, que Dieu insuffle Ses pensées aux travailleurs pour l’union des Églises.

 


[1] D’après une publication des éditions des Cahiers Saint-Irénée de 1959.