Homélie du 26 janvier 1964 [1]

 

Homélie publiée aux éditions de Forgeville n°6.

 

Dimanche prochain, je vous invite à venir le plus tôt possible, car la liturgie commence par la bénédiction des cierges, symboles de la lumière du Christ, et par la procession avec les cierges. Chacun viendra en chercher et les emportera à la maison. Et avec le symbole de la lumière qu’il emportera chez lui, qu’il emporte aussi la lumière si efficace et si puissante de Notre Seigneur Jésus-Christ, Lumière du monde.

Je dois vous communiquer une autre chose, grave, et je vous demande de m’écouter, je l’ai dit déjà hier. Nous avons pris la décision d’obéir au concile des évêques qui nous demande de célébrer Pâques, non avec les Occidentaux, mais selon la décision du concile de Nicée, en communion avec toutes les Églises orthodoxes du monde. C’est-à-dire que cette année, la Pâque sera le 3 Mai : le décalage est grand, vous regarderez le calendrier ; mais l’obéissance est une force. Et en remettant notre Église entre les mains du Saint-Esprit, je vous demande de le dire autour de vous et de suivre les Pâques traditionnelles, en cette année de grâce 1964.

La paroisse est une famille et chaque jour il y a un petit ou un grand événement. Aujourd’hui, vous prierez spécialement pour Marie-Louise, dite Mimi. Que ceux qui ne la connaissent pas pensent à Marie-Louise, que ceux qui la connaissent disent Mimi, car Dieu accepte quelquefois même les diminutifs quand on prie et Il se débrouille avec tous les diminutifs que le monde donne. Dites de préférence le nom de baptême mais, si vous l’oubliez, dites Coco ou quelque chose comme ça, Il vous pardonnera. Je crois que c’est tout ce que je dois vous dire en guise d’annonces.

 

Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

Nous finissons la semaine de prières pour l’union des chrétiens avec ce dimanche consacré à la Divine Eucharistie et au banquet du Christ, du Père Céleste, banquet des noces du Christ avec le monde.

La semaine de prières pour l’union de tous les chrétiens a pris les derniers temps, un aspect plus large encore. Car on ne se place pas seulement entre les chrétiens, on ne supplie pas Dieu de cesser les schismes et les hérésies, de réunir tous les chrétiens dans un seul et unique troupeau, mais aussi on embrasse du regard le monde entier. L’œcuménisme moderne est devenu universel, au-delà des frontières du Christianisme. Vous avez remarqué que dans notre Église on a prié pour l’Église catholique romaine, protestante, orthodoxe, pour l’union des chrétiens, mais on a prié aussi pour la fraternité des peuples, pour la paix, pour les athées et ainsi de suite.

L’Église, dès le commencement des temps, pensait toujours à l’univers. Dans le rite oriental, les litanies commencent pour la paix du monde. Ayant prié pour l’univers entier, on consacre, en quatrième lieu, une intention de prières à l’Église et aux chrétiens. Telle est la structure, si on peut dire de la pensée et du cœur d’un chrétien qui est toujours universel et ne se contente pas de la chapelle, d’une limitation. Car, dès le premier martyr Etienne, nous ne confessons pas un Sauveur de l’homme, ou d’un groupe de gens, d’initiés, mais nous confessons le Sauveur de l’univers entier, le Sauveur du ciel et de la terre.

Dans le rite des Gaules, il y a dans les litanies aussi : « jusqu’aux extrémités de la terre », et cette phrase dans l’Offertoire : « et pour tous, et pour tout ». C’est toute la totalité, tout l’univers, tous les êtres humains qui sont devant nos yeux quand nous prions. Et regardez aussi les litanies qu’on lit le Vendredi Saint dans l’Église romaine et que nous lisons pendant le Carême. Prions-nous seulement pour les chrétiens ? Nous prions aussi pour les Juifs, les athées, les incrédules et les idolâtres. Telle est la nature authentique de cette race nouvelle, de cette race étrange qu’est la race du Christ, le peuple royal, animé par l’Esprit-Saint et dans lequel coule le sang de Notre Seigneur, l’Esprit universel. Ou, comme on dit maintenant, mais je n’aime pas cette expression : « l’Église en face du monde ».

Mais l’Évangile aujourd’hui, autour de l’Eucharistie, autour de ce mystère de la fraternité, de l’union entre les frères avec le Christ, autour de ce mystère du corps unique, nous enseigne justement des choses tragiques. Il y a une unanimité de refus pour venir au Banquet : et ce ne sont pas seulement quelques-uns dans cette humanité qui ont refusé, mais c’est l’humanité entière. Tous ceux qui étaient invités à ce mystère de l’union selon l’Évangile refusent.

Et ceci, nous ne devons pas l’oublier. C’est un autre aspect du péché universel. Mais pourquoi refusent-ils ? Qui sont ces êtres qui sont invités à ce banquet ? Les dignes, les grands, les privilégiés. Tous ce qui est privilégié et grand dans la civilisation humaine refuse de participer au Banquet du Christ. Trois motifs. L’Évangile donne ces motifs sous une forme symbolique : terre, travail, mariage. Matière, âme, esprit. Les trois refus pour participer au mystère de l’union. C’est parce qu’il y a une préoccupation économique, matérielle, scientifique, n’importe,  ou des préoccupations psychiques vitales, ou des préoccupations spirituelles, mystiques, humaines. Pourquoi refusent-ils ?

Est-ce mal d’acheter de la terre ou de s’occuper de choses matérielles ? Non. Est-ce mal d’acheter des bœufs ou de s’occuper de choses psychologiques ou culturelles ? Non. Est-ce mal d’organiser la vie économique, d’être poète ? Non. Philosophe ? Non. Mais est-ce aussi un mal de s’occuper de choses spirituelles, de chercher la sainteté ou l’union mystique avec Dieu, ou la purification de l’âme ? Et pourquoi alors, si ce n’est pas mal, ne viennent-ils pas au Banquet ? Aujourd’hui, l’Évangile pose la question de l’urgence. Ils refusent non le Banquet en soi, ils ne refusent pas l’Eucharistie en soi, ils sont préoccupés par d’autres choses avant l’Eucharistie.

Et cet Évangile nous rappelle la tentation de Christ au désert par Satan qui veut transformer des pierres en pain, pour apaiser sa faim. C’est comme s’il disait : « ils viendront chez toi, à ton banquet, plus tard » Mais le Christ répond : « l’homme ne vit pas seulement de pain mais de la parole qui descend de Dieu[2] ». Ce refus à l’unanimité de l’élite de l’humanité de participer au Banquet parce qu’elle a à faire ailleurs, c’est le renversement des valeurs. Et ici le péché du monde, c’est l’urgence. Il donne l’urgence à ce qui n’a pas la première place. Voilà pourquoi le Christ dira : « cherchez avant tout le Royaume de Dieu, et le reste vous sera donné par surcroît[3] ».

 Il n’y aura jamais ni l’union des Églises ni la paix dans le monde, si vous criez « Paix, paix, paix ». La paix ne sera pas, il n’y aura pas de paix, mais la guerre ; il n’y aura pas union mais désunion ; il n’y aura pas la charité mais le contraire, si l’humanité ne met pas au premier plan le Banquet du Christ. En premier lieu, le Banquet du Christ. Et puis, que l’humanité s’occupe de choses économiques, culturelles, artistiques, oui. Mais, c’est précisément qu’ils ne mettent pas au premier plan le Banquet eucharistique. Et quelle est cette Eucharistie ? Avant tout, le Banquet Céleste. C’est la Vérité révélée. Car Dieu nous nourrit aussi de la parole. L’homme ne vit pas seulement de pain mais de la Parole de Vie qui sort de la bouche de Dieu. Et si on ne met pas au premier plan la Vérité révélée, si on la camoufle, si on dit : moi, je m’occupe de choses économiques et ça je le laisse de côté, pour demain, il n’y aura pas de paix ni d’union dans le monde. Et les pires catastrophes viendront dans le monde. Paroles de la Vérité, la Communion, le Corps, le Sang du Christ, la Communion au Christ, la Communion Eucharistique, la Communion spirituelle et réelle en Notre Seigneur.

 


[1] D’après la retranscription d’un enregistrement audio.

[2] Cf. Mt 4, 4

[3] Lc 12, 31