Analyse du 34e canon apostolique

 

Article publié, en 1950, dans la revue « Le Messager de l’exarchat du patriarche russe en Europe occidentale », n° 2-3, et, en 1961, dans le bulletin « Cahier Saint-Irénée », n°30 et dans l'édition de Forgeville n°5 "Mesures de la nouvelle Création".

 

« Il est bon que les évêques de chaque peuple reconnaissent parmi eux le premier et le considèrent comme un chef, n’agissant pas en ce qui surpasse leur pouvoir sans lui demander son opinion ; que chacun n’agisse que dans le domaine de son diocèse et les lieux qui lui sont attachés. Mais que le premier, non plus, ne fasse rien sans l’opinion de tous. Ainsi sera la concorde et glorifié sera DIEU par le SEIGNEUR dans le SAINT-ESPRIT, PÈRE, FILS et SAINT-ESPRIT. »

Nul canon n’a présenté avec tant d’évidence le rapport intime entre les décisions pratiques de l’Église et leur Archétype : la Gloire de la Divine Trinité. Certes, tous les canons sont des reflets de la vie trinitaire, mais aucun ne l’exprime aussi pleinement. En ces quelques lignes, le bon sens se marie à la sublime connaissance, et, tel un anneau d’or, l’esprit pratique se soude à la pensée de la vraie sagesse où le haut rectifie le bas, où le bas imite le haut. Zonaras le nomme : « Alliance de la charité chrétienne[1] ».

 

Relations humaines et relations divines

Selon le même canoniste, c’est par cette règle que les évêques peuvent réaliser fidèlement le précepte évangélique : « Que votre lumière brille devant les hommes, et qu’en voyant vos bonnes actions, ils glorifient le Père qui est aux cieux ». « L’unité de l’esprit et l’amour de Dieu » sont informés par le canon 34, enseigne Balsamon.

Cette règle réclame une analyse serrée si nous voulons profiter de sa sagesse apostolique et nous initier à la pensée canonique de l’Église.

Elle n’annonce pas un principe absolu, mais l’adapte à des conditions relatives, sous forme de conseil. En effet, elle débute par ces paroles « il est bon que[2]... ». Les théologiens romains l’auraient définie non pas de droit divin, mais de droit ecclésiastique ; nous préférons dire règle d’économie. Elle ne trace pas dogmatiquement les formes et les proportions de l’Église, elle les modifie sans en trahir le dessin initial. Ainsi, celui qui prendrait ce canon à la lettre commettrait l’erreur d’un canoniste superficiel et ne dépasserait pas le parvis du temple, cependant que celui qui, par la lettre et dans la lettre, en pénètre l’esprit, sauvegarde la valeur pratique de la maxime apostolique et acquiert la joie de contempler en lui-même le canon de la charité ecclésiastique.

Ce canon n’emploie pas, comme tant d’autres, une méthode chirurgicale, il n’est pas écrit sous la pression d’un danger contre l’unité de l’Église et s’offre en thérapeutique.

 

« Organisation » orthodoxe

Les auteurs, au nom des Apôtres, enseignent les évêques de chaque peuple, à travers les siècles ; nous avons bien mesuré, bien pesé chaque terme, disent-ils ; si vous êtes fidèles à notre prescription, vous réaliserez la concorde, vous approchant progressivement de l’archétype divin. De deux côtés, les maladies vous guettent : à droite, la centralisation avec la subordination qui en découle ; or, où il y a subordination, il n’y a plus de concorde, car la subordination confond les Personnes divines et n’est plus trinitaire ; à gauche, c’est l’isolement, chacun pour soi, l’absence d’unité, l’anarchie, les Personnes divines sont séparées les unes des autres.

Cette règle nous décrit une organisation qui nous déroute de prime abord. Chaque peuple est dirigé par plusieurs évêques et non par un seul ; l’unité est donc en bas : le peuple ; la pluralité en haut : les évêques. Précisons : la règle ne dit pas que chaque peuple avec son propre évêque se groupe en fédération de peuples dirigée par la concorde de ses évêques, mais elle dit : « les évêques de chaque peuple ». Une pareille communauté peut paraître au sens commun une monstruosité sociale... Évidemment, il semble normal d’avoir plusieurs unités en bas, reliées à un centre supérieur. Et voici, en place d’une pyramide solidement posée au sol, nous voyons une étrange construction en éventail, risquant de tomber de toutes parts ; folie pour les romains, non-sens pour un esprit d’ordre – et pourtant, telle est la base de l’Église.

Pour que cette société ne se détruise pas, un indispensable élément de liaison est sous-entendu, et cet élément, auquel on ne songe pas à l’ordinaire... est Dieu. Sa présence réelle, Son action dans l’Église forment une organisation plus stable que celles de ce monde ! Mais, c’est une forme sociale qui réclame sans cesse et un effort vers la charité de la part de ses membres, et la présence invisible, mais réelle, du Christ ressuscité (« Là où deux ou trois sont réunis en Mon nom, Je suis parmi eux... »), et enfin, l’invocation ininterrompue du Saint-Esprit.

Cette organisation est une ébauche de la vie trinitaire ici-bas et ne vise pas à installer l’humanité dans la quiétude ; dynamique et non statique, elle veut transfigurer les rapports entre les hommes.

Souvent, l’on vante la solidité centraliste de l’Église romaine, sans remarquer que si elle est encore debout, c’est malgré sa propre organisation. Sa puissance réside en sa fidélité au Christ, ses messes fréquentes, ses communions, les prières de ses saints et son amour du Christ. Au contraire, son « ordre extérieur » si vanté est coupable de la désunion des chrétiens, des schismes avec l’Orient, de la multiplicité des Églises protestantes et de la révolte de l’esprit laïque et séculier contre l’Église du Christ.

D’autre part, l’exemple du démembrement du protestantisme est maintes fois cité. La cause n’est pas dans l’absence d’une organisation pyramidale, mais dans l’individualisation, l’isolement, son ecclésiologie et sa conception du dogme de l’eucharistie.

Enfin, que de fois il fut reproché à l’Église orthodoxe moderne d’avoir des schismes. Ni l’Église comme telle, ni le canon 34, ni la formule « les évêques de chaque peuple » n’en sont responsables. Ces schismes sont tous nés du désir de partager l’Église selon les éléments de ce monde (les nations, les idéaux politiques ou culturels) au lieu de se presser autour du Christ ressuscité.

 

« Les évêques de chaque peuple »

En accord avec l’enseignement de saint Paul, c’est dans la faiblesse et la fragilité de cette formule, « les évêques de chaque peuple », que la force divine se réalise pleinement et pousse l’homme à la perfection. Les évêques d’un seul peuple forment une couronne, dont le cercle de base est le peuple et les fleurons (trois, douze ou plus), les évêques eux-mêmes.

Le changement apporté par le canon 34 est la reconnaissance parmi les évêques d’un primat, considéré « comme un chef [3] ». Nous ne pouvons nier que, mal interprété, ce canon ne puisse servir, autant en Orient qu’en Occident, à l’élévation illégitime des métropolites, des archevêques, des patriarches, et des papes au-dessus des frères-évêques. Les Pères de l’Église, à plusieurs reprises, sentirent le danger d’une concorde « enfumée » par la vanité des grands, l’amoindrissement sournois de la liberté des enfants de Dieu par le souci exagéré de l’unité extérieure.

Ceux qui défendent la thèse facile de l’évolution de la conscience de l’Église, à la manière des idéalistes germaniques, opèrent volontiers avec le 34e canon, proclamant que peu à peu l’Église prend conscience d’elle-même, réunit les évêques des lieux en métropoles avec un chef plus ou moins constitutionnel, puis rattache les métropoles aux patriarcats, pour aboutir enfin à la papauté romaine. Ceux qui considèrent l’évolution historique comme la pénétration de l’humain dans la pureté évangélique, se plaisent à voir en cette règle le premier échantillon de la laïcisation de l’Église primitive, une sorte de paganisation de l’œuvre du Christ. Est-ce exact ? Avant d’étudier les termes « premier » et « comme un chef », ainsi que les rapports entre le premier et les autres évêques, rappelons le sens exact de cette règle. Le sens de toute règle canonique est dans son but et le but de celle-ci s’exprime avec une netteté sans équivoque : il est moral et théologique.

 

Recherche de l’ « homonia »

Le but moral est homonia. « Homonia », dans le langage grec courant, peut se traduire par « concorde », traduction non littérale, mais fidèle à l’esprit. Les slaves traduisent : « unité de pensée ». Homonia-concorde est une expression parfaite, nous introduisant dans le sain climat canonique ; c’est une expression délicate, nuancée, qui ne force rien, prévoit l’opinion libre de chacun, la compréhension mutuelle, l’unité non imposée, mais propre à tous. Homonia-concorde exige l’égalité absolue de ceux qui se placent en état concordant. La subordination brise la concorde ; certes, on peut admettre que les membres de cette concorde acceptent de se soumettre plus ou moins à un chef, mais, dans ce cas, l’esprit de concorde étant préservé, cette soumission de tous à un seul, librement décidée, n’existe qu’en fonction de leur décision en commun, et tant qu’elle exprime leur unité d’esprit.

Le mot grec « homonia », plus riche que le mot concorde, suppose dans l’accord des personnes libres, une unité-base, unité d’esprit qui facilite la concorde des opinions. Ce n’est pas la recherche de l’unité extérieure avec un manque d’unité intérieure, mais une certaine actualisation, une manifestation de l’unité existante.

Le but moral d’homonia-concorde se confond avec le but théologique, la vraie concorde entre les hommes n’étant que le reflet des relations entre les Personnes divines. La concorde appelle l’unité dans la vérité et la charité, et la distinction sans confusion entre des personnes libres.

Le but théologique de cette règle est la glorification de la Tri-Unité ; elle est exprimée par une double doxologie, la doxologie paulinienne « glorifié sera Dieu par le Seigneur dans le Saint-Esprit », et la doxologie baptismale : « Père, Fils et Saint-Esprit ».

La présence côte à côte des deux formules trinitaires, gênante pour les puristes du style, curieuse pour la critique historique, est précieuse pour l’expert canoniste. Elle veut couper net avec le sens subordinationiste. Les ariens n’ont-ils pas faussement profité de la doxologie paulinienne pour tirer une conclusion hérétique d’inégalité entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Saint Basile n’a-t-il pas propagé cette deuxième formule avec énergie, subissant les critiques, précisément pour en finir avec l’hérésie arienne ; et si elle est un ajout postérieur à notre règle, alourdissant grammaticalement la phrase, elle vient de la main orthodoxe, de la tradition vivante de l’Église.

Les expressions de la gloire ou la glorification de Dieu ont besoin d’être remises en lumière. Car notre langage moderne les a vidées de leur contenu biblique traditionnel. La gloire divine ou la gloire de Dieu, dans l’enseignement de l’Église, signifient la présence presque palpable de la Divinité dans un lieu. Ainsi, pour ne citer que deux exemples de l’Ancien Testament : lorsque la Gloire du Seigneur descendit dans le Temple de Salomon, comme une nuée, Israël comprit que Dieu était là, habitant parmi eux, et lorsqu’Isaïe contemplait la Trinité, il entendit les voix des chérubins chantant : « Saint, Saint, Saint le Seigneur Dieu Sabaoth, la terre est remplie de Ta gloire ».

Glorifier Dieu ne veut pas dire le louer seulement, le remercier pour ses bienfaits, mais le confesser, le témoigner, le reconnaître, connaître sa présence. Ainsi, le but du canon 34, par les formes qu’il assigne à l’Église, est le témoignage de la présence palpable, concrète, remplissante, presque envahissante de la Divine Trinité dans chaque Église locale, dans les rapports des évêques, et la moindre des parties du corps de l’Église.

 

« Primus inter pares »

C’est à la lumière de ce but moral et théologique que nous en étudierons les détails. D’abord, arrêtons-nous sur le terme : le premier, primus, protos. L’expression classique primus inter pares (premier parmi les égaux) prend racine dans cette règle. Le terme « primus-protos » a grandement troublé les historiens, les philosophes et les théologiens. Au cours de la polémique entre papistes et anti-papistes, ce terme joua un grand rôle. Et le célèbre texte de saint Irénée sur la primauté de l’Église de Rome provoque tous les dix ans des cris de victoire ou de défaite dans les deux clans opposés. « Primus », « principales », « primauté », voici les arguments bons pour les deux côtés !

Le grec a deux expressions : arché et proto. Tout en reconnaissant que, dans le langage courant, ces expressions sont employées indifféremment, se remplaçant l’une l’autre, il est nécessaire de souligner la différence initiale de ces deux mots. Arché a le sens de : source d’origine, principe ; proto est : le premier de la série, premier comme exemple ; tous deux peuvent servir dans le sens d’excellence, de superlatif ; ainsi a-t-on pris la mauvaise habitude de dire que le métro est « archi-comble », mais à l’époque de notre canon une expression pareille n’aurait pu être prononcée[4].

Lorsqu’on emploie le mot « archi » dans le sens supérieur, on saisit facilement la nuance. L’Aréopagite dit que Dieu est « Archi-Dieu », voulant exprimer par cela que l’Insaisissable surpasse même la définition de Dieu, mais il n’aurait pu dire qu’il est proto-Dieu. Un proto-Dieu. Un proto-Dieu supposerait un Dieu second et un Dieu troisième.

Entre Dieu et Archi-Dieu, il y a l’élévation vers l’inconnu ; entre proto-Dieu et Dieu, la différence est graduée.

Les sens d’archi – origine ou supériorité – ne sont pas inévitablement liés ; on peut les employer parallèlement. Le Père est l’Archi, source du Fils et de l’Esprit ; il n’est pas l’Archi du point de vue supériorité de divinité. Quant à dire du Père qu’il est Proto-Dieu par excellence, cela est impensable.

Quittons le langage trinitaire et redescendons vers le plan humain. Archi est hors de série, proto est premier de la série. La phrase de notre canon : « reconnaître parmi eux le premier (protos) » indique que les évêques n’en reconnaissent pas un qui serait au-dessus d’eux, comme sur un plan supérieur, hors ligne, mais un parmi eux, qui résume, condense en quelque sorte leurs propres qualités, leur propre pouvoir.

 

Définition orthodoxe de la primauté

À l’école, le « premier » est un exemple de la classe et sa primauté ne fait pas de lui le maître des élèves.

Pierre, parmi les Douze (la concorde des Douze précède notre règle et reste son prototype), est appelé proto-apôtre, prince des Apôtres, parce qu’il a confessé le premier de tous. Il est donc le premier de la série, celui qui confessa pour tous, icône de leur unité, premier comme quelqu’un qui réunit ce que les autres possèdent, premier comme leur porte-parole. Il reçoit avant les autres le souffle du Père céleste, il reçoit ce que tous recevront après, et les autres recevront non par lui, mais comme lui. Pierre est protos et non archi de l’inspiration céleste, de la confession de la vérité.

Par conséquent, ni dans le sens philosophique, ni dans la concorde apostolique, l’expression « le premier – protos » ne suggère l’ébauche d’une pyramide. Nous sommes devant une autre figure géométrique.

Les deux mots qui précèdent « le premier » : « parmi eux », ou, plus exactement : « en eux », souligne la pensée de notre règle. Ce premier, la règle invite à le reconnaître « comme un chef ».

Quand je dis, par exemple, il est mon maître, je veux dire que je me soumets à une autorité et reconnais une supériorité ; je me place au-dessous de lui, comme un élève. Lorsque je dis le maître, cela le classe comme un être supérieur, indépendamment du fait que je m’adresse ou non à lui. Quand nous disons un maître, c’est un maître parmi les autres. Dans le même sens, nous devons bien remarquer que, dans le texte de la règle, le premier n’est appelé ni mon, ni le, mais un chef, et même moins qu’un chef, car nous lisons : il doit être reconnu comme un chef, faisant fonction d’un chef sans l’être en réalité. Il est chef en tant qu’on le reconnaît être un chef ; rien en lui autonomement ne le fait chef, son état dépend de ceux qui le reconnaissent.

L’apôtre Paul, dans ses épîtres, en particulier celles aux Colossiens et aux Éphésiens[5], nomma le Christ chef – tête – céphales ou chef suprême du corps-Église, qui est la plénitude remplissant tout. Remarquons que l’attribut de chef n’est pas appliqué à la divinité du Verbe Pré-Éternel, ni à la deuxième Personne de la Trinité comme telle, mais à l’humanité glorifiée du Christ réunissant en elle la totalité de la création sauvée et déifiée. Le Christ devient Chef suprême après avoir parcouru le chemin de l’incarnation et de la rédemption, arrivé au terme, lorsqu’Il élève Son humanité au-dessus des cieux, à la droite du Père. Son nom de Chef est inséparablement lié à l’accomplissement. C’est un nom donné à la nature et non à la personne. Certes, le Christ est le Chef, mais « dans » et « par » Son humanité. La tête fait partie du corps, le Christ-Chef est indétachable de l’Église, Son corps, pour l’éternité.

Dans le sens profane, être chef signifie diriger, ordonner, réaliser ; c’est une qualité qui se rapporte à une personne agissant de l’extérieur.

 

« Comme un chef »

Tandis que, dans notre canon 34, l’expression « comme un chef », faisant fonction d’un chef, à la ressemblance du Christ, indique que le « premier parmi les égaux » a la mission de ramasser, de concentrer, exprimer en lui la plénitude des nécessités salutaires et les vertus de l’Église du lieu. Sa fonction est le général. Il est le point d’attraction, le centre autour duquel tout gravite, mais il n’est pas le chef, il ne possède pas les qualités d’attirer vers lui, comme le Christ, Chef suprême, qui attire l’univers déifié vers Lui. Ignace appela l’Église de Rome « la présidente de charité », car vers elle se dirigeaient toutes les richesse des Églises dispersées et elle répondait aux nécessités de tous. Les chrétiens de différentes nations, de différentes conditions accouraient à ce centre.

Se rapportant à cette conception du chef, était élu le plus souvent l’évêque d’un chef-lieu, d’un centre politique ou culturel (l’élévation de Constantinople et des métropoles n’eurent pas d’autre base canonique), ou l’évêque d’une chaire apostolique, car les Apôtres ont déposé leurs richesses spirituelles et sanctifié le lieu par le sang de leur martyre, ou l’évêque le plus âgé (telle était la coutume en Espagne), en considération de sa longue expérience, ou enfin l’évêque d’une Église de tradition éprouvée. Dans ces quatre cas, les « chefs » ou « évêques-chefs » reçoivent leur dignité en tant qu’ils résument la totalité de la vie de l’Église locale. Et, s’ils cessent de représenter cette vie totale, ils devraient, en réalité, perdre cette mission de « premier ». C’est pour cette raison qu’aucun empêchement strictement canonique ne s’oppose à un changement de chef. Néanmoins, l’Église sauvegarde en général les privilèges des chaires apostoliques (Rome, Alexandrie...), des chaires éprouvées par l’histoire (Constantinople), mais cet agissement ne peut être pris ni à la lettre, ni dans le sens absolu. Si l’Église a désiré honorer la primauté de Rome, d’Alexandrie ou des autres chaires, c’est uniquement par respect du passé.

La règle fournit avec une précision remarquable les rapports entre le premier et les autres évêques du lieu. Notons cet équilibre : dans le général, les évêques ne doivent pas agir sans demander l’opinion du premier et le premier sans l’opinion de tous ; mais chaque évêque, dans son diocèse et les lieux qui en dépendent, doit agir pleinement. Ainsi sont préservées, à l’image de la Trinité, la concorde et l’unité, la liberté et la plénitude du pouvoir de chacun. Soulignons que le premier, en réunissant les pouvoirs de tous pour les questions concernant la totalité de l’Église du lieu, n’a aucun droit, selon le vrai esprit canonique, de se mêler des affaires des évêques dans leurs diocèses, l’indépendance et l’unité se complétant mutuellement.

Glorification du Père : la source canonique des pouvoirs des évêques et leur unité ; glorification du Fils : le premier, considéré comme un chef, exprime leur pouvoir ; glorification du Saint-Esprit ; la distinction et la coordination des pouvoirs achèvent l’œuvre.

La 34e règle, en résumé, nous enseigne que l’Église, malgré ses déviations dans l’évolution historique, soit vers une centralisation plus grande, soit vers une décentralisation exagérée, doit toujours revenir, dans sa conscience, au canon des canons : le dogme de la Trinité, le dogme de la Trinité orthodoxe et non hérétique, et, par lui, rectifier sa conduite, juger à sa lumière les décisions canoniques. C’est la divine Trinité qui est l’Archétype. Dans Sa Présence, l’Église est inébranlable et c’est en la confessant et en se conformant à sa Vie que la création se perfectionne par la charité, afin de parvenir à la mesure de la stature parfaite du Christ, glorifié dans Son humanité.

 


[1] Zonaras et Balsamon sont de célèbres canonistes byzantins du XIIe siècle.

[2] Le mot grec « chry » peut se traduire ainsi : « il faut que », « il est utile que »...

[3] Certes, cette réforme peut donner l’impression d’un premier pas d’une tendance timide vers la centralisation, faisant pressentir une évolution logique dont l’aboutissement au cours des siècles sera une forme plus ou moins monarchique.

[4] Nous ne toucherons pas, dans cet article, les titres d’archevêque, métropolite, patriarche, pape, etc. ; ces titres ne changent pas la question dans l’essentiel.

[5] Nous recommandons de lire et méditer surtout le premier chapitre de l’épître aux Ephésiens, afin de mieux apercevoir l’ampleur de ce mystère.