Homélie du 8 mai 1955

 

Ép : Ja 1, 16-21 ; Év : Jn 16, 5-15.

 

Avant de dire quelques mots sur l’Évangile d’aujourd’hui, je veux d’abord arrêter notre pensée sur la date que nous fêtons : le 10e anniversaire de la paix. Lorsque, il y a 10 ans, la guerre enfin s’arrêta, c’est d’abord un sentiment de grand soulagement que nous éprouvâmes ; enfin, il n’y a aura plus de morts, plus de massacres, de bombardements, enfin on pourra respirer pendant quelque temps ; enfin un peu de temps de paix nous est donné. L’Église prie à chaque service pour la paix des temps, pour la paix du monde. Un temps de paix pour accomplir et réaliser quelque chose. Quelle est la mission de la France, sa mission spéciale, parmi les peuples ?

Pour un chrétien, tout est signe, tout est signature ; rien n’est hasard, et si nous sommes appelés enfants de lumière, c’est parce que nous pouvons lire le livre de Vie. Ainsi, par les dates frappantes qui marquent les événements, nous pouvons reconnaître le destin de la France. (Chaque pays a son destin, sa mission, car tous les peuples, toutes les nations apporteront leur tribut mais je parle ici de la France en particulier).

Quelles sont ces dates ? L’armistice de la guerre de 1914-18 a été signé le jour de la saint Martin ; Paris a été libéré en 1944 le jour de la saint Louis ; l’armistice a été signé en 1945 le jour de la saint Michel et de Jeanne, la Vierge d’Orléans, qui, par la volonté céleste, a libéré la France dans le passé. Que signifient ces « coïncidences », sinon que Dieu s’est penché sur la France d’une manière exceptionnelle ! Et s’Il est mis en marche pour ce peuple d’une telle façon, ce n’est pas uniquement certes à cause de la vertu de ses saints, de la fidélité et de la prière ardente de beaucoup de Français, mais pour une mission, pour un but que la France doit remplir, pour mettre un autre « joug » sur ses épaules.

Première indication que nous trouvons dans les noms des saints : deux noms de combat, Michel et Jeanne ; un nom de justice, Louis un nom de miséricorde et de sainteté, Martin. Quel combat nouveau, quelle justice nouvelle sommes-nous donc appelés à poursuivre ? Devons-nous redevenir une grande nation, politiquement ou économiquement ? Peut-être, mais nous avons une indication plus spéciale ; et ainsi dans ce concert de peuples où chacun apportera « son honneur et sa gloire », comme dit l’Apocalypse, quel honneur et quelle gloire sont annoncés spécialement pour la France pour être si visiblement protégée dans la paix ? Sommes-nous appelés à combattre contre un Allemand, un Russe, un étranger ?

Non. Car le combat du chrétien n’est pas selon saint Paul, contre la chair et le sang, mais contre les esprits-sous-ciel, non pas contre des peuples, mais pour la vérité. Le combat auquel nous sommes appelés, chrétiens de France, est pour la vérité du Christ. Notre lutte est pour la restauration de la véritable Église du Christ, rude combat pour lequel nous sommes bien indignes et bien faibles, mais c’est dans la faiblesse que la grâce de Dieu agit, la providence donnera encore à la France beaucoup d’années pour sentir sa faiblesse ; et c’est seulement lorsqu’elle aura pleinement réalisé cette faiblesse, qu’elle reviendra à une autre puissance, à un autre glaive qu’elle reprendra pour combattre pour la vérité. Les signes que nous donnent les dates que je viens d’évoquer sont là pour nous montrer que la victoire nous sera donnée, et que la protection du ciel ne nous manque pas. Que celui qui veut comprendre comprenne et prenne mes paroles en considération !

Nous prierons aujourd’hui ardemment pour toutes les âmes oubliées, tuées pendant cette guerre, massacrées en pleine jeunesse. Je dis bien « oubliées », car ce n’est pas assez de toutes ces cérémonies pompeuses, bien extérieures souvent ; nous devons surtout prier intensément, c’est de notre prière dont tant d’âmes ont besoin. Beaucoup ont été tués avant d’avoir achevé leur route, certes la Providence l’a permis, mais l’on sent dans nombreuses d’entre elles une certaine angoisse particulière, le désir de revenir sur la terre et de vivre encore un peu de temps leur existence terrestre brusquement interrompue ; la mort est venue pour elles comme un voleur, les trouvant non préparées encore ; et nous avons encore pour elles à finir la phrase qu’elles n’ont pas terminée, à achever le geste qu’elles avaient commencé... Ainsi mettez dans votre cœur tous ces millions d’âmes massacrées, et priez ardemment pour elles, car cette prière est aussi la base de l’avenir.

Sur l’Évangile de saint Jean, j’ai déjà souvent parlé dans cette église ; je ne m’arrêterai aujourd’hui que sur ces paroles : « Quand viendra l’Esprit de vérité, il vous introduira dans toute la vérité... » Ô peuple orthodoxe, ô enfants de l’Église, comprenez bien cette parole ! L’Esprit de Vérité vous conduira dans toute la vérité, tentez que dans toute votre vie, ce soit l’Esprit qui vous guide. C’est lui, votre Maître, votre guide. Un vrai chrétien, un vrai fils de l’Église, a l’Esprit qui vit en lui, qui l’instruit à chaque instant. Sachez l’écouter ; soyez attentifs. En lisant les livres, en écoutant les prêtres, ne cherchez pas seulement à retenir les paroles que vous lisez ou entendez, mais à travers les mots, les gestes, les instructions, cherchez à acquérir l’Esprit-Saint en vous. Vous êtes instruits par les prêtres, non pour être toujours enseignés, mais pour trouver le vrai guide, pour arriver à marcher seuls et tous ensemble, dans la liberté de l’Esprit. Le dernier mot n’appartient à aucune autorité visible, extérieure ; le dernier mot est à l’Esprit-Saint qui vit dans l’Église ; écoutez tous les Pères de l’Église, les saint Jean Chrysostome, saint Jean Climaque, ils nous disent tous la même chose. Même si un jour les temples devaient être détruits, les Livres Saints disparaître, L’Esprit est là, pour tout restaurer. Non que l’Écriture ne doive rester jusqu’à la fin des temps, non que la divine liturgie ne sera célébrée jusqu’à la fin des temps ; elle le sera ; mais même si les formes que nous connaissons disparaissaient dans des cataclysmes, l’Esprit-Saint qui est la mémoire, la source de tout, restaurerait tout. C’est Lui qui est le guide de l’Église pour arriver vers la connaissance directe, connaissance qui n’est pas le privilège de quelques-uns, mais de tous, non pas isolément, mais de chacun dans l’unité de tous.

C’est l’Esprit-Saint qui vous introduira dans toute cette connaissance ; que votre prière essentielle soit que l’Esprit habite en vous, agisse en vous, remplisse, et éclaire votre intelligence et votre cœur. Amen.

 


[1] D’après des notes de fidèles.