Rapport de la confrérie Saint-Photius

préconisant un concile orthodoxe

 

Rapport interne de la Confrérie Saint-Photius écrit par Eugraph Kovalevsky, en 1931, ayant pour objectif, l’envoi d’une lettre au métropolite Serge de Moscou. Ce rapport traduit du russe a été publié, en 1971 dans « Présence orthodoxe », n°13.

 

La Confrérie, au nom de notre Père saint Photius le Confesseur, salue Votre Sainteté, ainsi que toute Votre Église en ce jour du « triomphe de l’Orthodoxie » où la Sainte Église témoigne au monde de sa victoire sur les ennemis de l’Hadès, impuissants à vaincre la Fiancée du Christ, qui repose sur la pierre de la confession de la foi véritable et de la sauvegarde de la succession apostolique dans la hiérarchie. Nous prions Dieu glorifié dans la Trinité, afin qu’il élève et fortifie Votre Sainteté et tous les évêques orthodoxes, pour l’instruction des croyants et le zèle dans la vérité, ainsi que pour le maintien de l’unité de la Sainte Coupe, afin que par cela nul ne se trouve hors du Corps du Christ, mais que tous demeurent fidèles au Christ qui sanctifie Sa Fiancée pour la « présenter à Lui-même toute glorieuse, resplendissante, sans tache, ni ride, ni rien de semblable, mais sainte et irrépréhensible » (Eph. V, 27).

Profitant de l’occasion, la Confrérie se permet d’adresser à Votre Sainteté une filiale demande d’instruction et d’éclaircissement au sujet de toute une série de questions qui surgissent pour elle, touchant la réunion pré-concilaire qui doit être convoquée en l’été 1932, sur l’initiative du patriarche œcuménique.

La Confrérie garde l’espoir qu’en dépit de la multitude des préoccupations pastorales, vous ne la priverez pas de Votre parole instructive sur les questions suivantes :

 

I

Est-ce que le Prosynode étudiera, au préalable, les décisions des grands conciles orthodoxes :

  1. Celui de Constantinople (879), confessant et confirmant la doctrine sur le Saint-Esprit ;
  2. Celui de Constantinople (1351) et les suivants, défendant et définissant la doctrine des énergies incréées du Saint-Esprit et de la Grâce ;
  3. Le grand concile de Moscou (1667) apaisant les tendances papistes de Sa Sainteté Nikon, et affirmant la différence entre le muable et l’immuable dans l’Église ;
  4. Le concile de Bethléem-Jérusalem (1672), convoqué au sujet de Cyrille Lukaris, affirmant la vraie doctrine des Sacrements et votant aussi d’autres décisions importantes, en liaison avec le concile de Iassy ;
  5. La réunion des patriarches orientaux qui publia ce que l’on nomme : épître des patriarches d’Orient, en réponse au patriarche de Rome — 1848 — ainsi que l’épître de Sa Sainteté Anthime III — 1895 — acceptées par toute l’Église et consacrées aux mêmes problèmes.

Ces conciles seront-ils assimilés à l’autorité des conciles œcuméniques, de telle manière que le concile en préparation devienne le quatorzième dans l’ordre des conciles orthodoxes ou, en tout cas, leur autorité infaillible sera-t-elle affirmée ?

Cela prouverait au monde occidental que l’Église orthodoxe, après le départ du patriarcat de Rome, n’a pas cessé d’instruire, et que semblable à l’arbre nourri de l’Esprit-Saint, elle continue de croître, préservant de l’attentat des hérésies de tous les temps et de tous les pays, les traditions de la vérité évangélique. Alors, pour les orthodoxes aussi, le concile œcuménique en préparation deviendrait plus explicite, en couronnant la doctrine véritable de l’Église.

Si, d’une part, au cours des sept premiers conciles œcuméniques, avant le « triomphe de l’Orthodoxie », les Pères ont confirmé dogmatiquement toutes les vérités, fortifiant notre foi en l’humanité salvatrice du Christ, d’autre part, depuis Photius le Grand jusqu’à nos jours, l’Église défendait les vérités liées à la mystérieuse Pentecôte (procession du Saint-Esprit du Père, incréation des Dons, transmission apostolique, sacrements, l’Église et le monde, etc.). On peut dire aussi que si l’Église jusqu’au IXe siècle dut défendre la vérité exprimée dans la première partie du Symbole de la Foi — jusqu’au Ve celle du Dieu Créateur contre les hérésies anti-trinitaires (l’arianisme et autres) et jusqu’au IXe, particulièrement, l’incarnation du Fils de Dieu et la vénération des icônes comme dogme découlant de celui de l’incarnation — on peut aussi dire qu’à partir du grand Photius du IXe siècle jusqu’au XVe, elle lutta contre les « filioquistes », les « bogomils », les « barlaamites » et autres adversaires du Saint-Esprit ; et qu’à partir du XVe siècle jusqu’à nos jours, combattant les adversaires de la hiérarchie, des sacrements, de la Tradition (les peu chrétiens : anti-épiclésistes, vieux-croyants, monothéistes) et se trouvant face aux nouvelles doctrines hérétiques (cosmothéistes, sophilologues, etc.) : l’Église, incontestablement, défend la deuxième partie du Symbole jusqu’aux mots : « je confesse ».

Ce développement logique et mystérieux de la défense de la vérité est le signe sublime que l’Église n’est pas sans Chef, mais que son Grand Archevêque et Pasteur est Lui-Même la Sagesse hypostatique, le Verbe de Dieu. Aussi, pensons-nous que les décisions des conciles énumérés élèveront sûrement les croyants et serviront au triomphe de l’Orthodoxie dans l’univers.

 

II

C’est pourquoi nous nous intéressons à l’opinion de Votre Sainteté sur la guérison du mal de l’Orthodoxie actuelle qui se traduit, avant tout la négligence de l’unité doctrinale dans l’Église orthodoxe (nous ne parlons pas des domaines où sont admis des « théologoumènes »).

Certains se prennent à penser que dans l’Église il n’existe point d’unité doctrinale, mais un total arbitraire d’opinions ; d’autres, aussi bien orthodoxes que — surtout — hétérodoxes, critiquent le fait qu’il n’y ait point chez elle de voix d’autorité, et enfin, ce qui est le pire, nombre de croyants, intéressés par les nouvelles fausses doctrines que permet le silence de l’Église, s’en vont, loin de la simplicité de la Tradition.

Votre Sainteté ne trouve-t-elle point que la négligence de l’unité doctrinale provient du fait que l’humanité actuelle, intéressée avant tout par la recherche de la paix extérieure, a rompu le commandement divin qui nous enseigne que la vérité précède la paix. Nous pensons qu’à cause de cela s’est produit le fait que la sauvegarde de la vérité, considérée comme la préoccupation de l’Église catholique tout entière, non seulement des évêques mais de tout le peuple (voir l’épître des patriarches orientaux de 1848) est devenue ces derniers temps, le travail de théologiens spécialisés ou de telle ou telle autre Église locale. L’Église orthodoxe est alors placée au même niveau que les autres Églises et sectes, privées de la plénitude doctrinale.

 

III

Nous désirerions avoir votre opinion sur les mesures que le Prosynode compte prendre pour mettre fin aux tristes divisions à l’intérieur de l’Église, provenant de la rupture de la Tradition de l’unité de la Coupe. Nous parlons de la tentation pour les croyants, ainsi que pour les hétérodoxes attirés vers l’Église, tentation qui découle des frontières indistinctes de l’Église.

Nous considérons de notre devoir de vous dire que seule l’affirmation et le renforcement des décisions des saints Pères, peuvent rendre le pouvoir et l’autorité aux évêques de l’Église, restaurer au sein du peuple la conscience de son unité, en gardant à l’Orthodoxie la liberté qui lui est propre et que recherchent les chrétiens d’Occident qui l’ont perdue, mais qui, à cause des désordres ecclésiaux durant les dernières décades, arrivent à l’idée néfaste que là où est la liberté il ne peut y avoir d’ordre salvateur.

En dehors de ces questions essentielles que nous osons soumettre à l’attention de Votre Sainteté, laissant de côté pour l’instant une multitude de questions pratiques nous concernant et d’autres plus particulières comme par exemple : l’examen du calendrier (nouveau style), la proclamation et glorification universelle de certains saints locaux qui apparurent comme des défenseurs de la vérité catholique, tels que des saint Photius, saint Marc d’Éphèse, saint Séraphin de Sarov... l’autorité centrale de l’Église, les possibilités de la réunion de certains chrétiens, aussi bien orientaux qu’occidentaux, la mission de l’Église parmi les païens, les établissements d’enseignement supérieur de l’Église, etc. Moi, suppléant du président de la Confrérie, je me permets d’attirer l’attention de Votre Sainteté sur deux questions encore qui intéressent vivement deux sections de notre Confrérie : Saint-Irénée (occident) et Saint-Alexis (orient).

Étant donné l’intérêt de nombreux chrétiens occidentaux pour l’Orthodoxie, le Prosynode discutera-t-il les questions suivantes, et quelle est votre opinion à leur sujet ?

  1. la possibilité de la restauration d’un Siège orthodoxe romain ;
  2. les droits des Églises locales d’Occident, dans le cas de leur réintégration au sein de l’Église chrétienne orthodoxe ;
  3. la possibilité de reconnaître le rite occidental et son maintien pour les orthodoxes occidentaux ;
  4. les relations avec les hétérodoxes et leurs limites (intercommunion, réunion pour des questions pratiques).

Servant au triomphe de l’Orthodoxie et aspirant à l’affermissement de l’autorité des évêques de l’Église, en tout lieu, la Confrérie Saint-Photius se fait un honneur d’être au service de Votre Sainteté et sollicite les saintes prières et la bénédiction de Votre Sainteté.

 

Annexes du rapport

 

Épître des patriarches d’Orient (1848)

En réponse au patriarche de Rome dont le texte fondamental définit le rôle des laïcs dans l’Église : « Tout le peuple est gardien de la foi. » (Extraits.)

 

Épître de sa sainteté Anthime III (1895)

À propos de l’Encyclique de S.S. Léon XIII, pape de Rome appelant tous les chrétiens à l’union.

« Chaque chrétien doit être rempli du désir ardent de l’union des Églises, et par excellence les fidèles orthodoxes sont brûlés par l’ardeur de retrouver l’unité dans la foi avec à la base l’enseignement des Apôtres et des Pères, Jésus-Christ lui-même étant la pierre angulaire (Eph. II ; 20). Mais pour arriver à cette unité, nous devons revoir ensemble la foi commune de l’Orient et de l’Occident avant notre séparation.

Parlant ainsi, nous n’avons nullement en vue les différences concernant le rituel et les rites sacrés, c’est-à-dire les textes liturgiques, hymnes, ornements, etc. Les différences existaient bien dans l’Antiquité et ne peuvent nuire à l’essence et à l’unité de la foi. Nous avons en vue les différences essentielles qui nous séparent et touchent aux dogmes de la foi légués par Dieu, à l’organisation canonique de l’Église promulguée par Dieu. » (Extraits.)