Extrait n°1

 

 

Homélie du 28 septembre 1958 – Saint Michel

 

Ép : Apo 12, 7-9 ; Év : Mt 18, 1-14.

 

Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Amen !

On apprend toute sa vie des choses grandes ou petites et nous sommes toujours à l’école !

Dans le désir de conférer plus de solennité à la fête de l’archange Michel – qui donna récemment une marque insigne de sa protection à notre Église –, j’eus la pensée de reporter sa fête au dimanche – la reculant donc, cette année, d’un jour – et je m’aperçus que, sans le savoir, je rejoignais la tradition. En effet, en plus des dates du 8 mai, du 29 septembre et du 16 octobre, le dix-huitième dimanche après la Pentecôte était naguère consacré à Michel archange et aux Anges. Cette coutume est plus ancienne et plus traditionnelle que le 29 septembre. Ainsi, cette année, nous aurons pour ainsi dire deux jours de fête de saint Michel.

Demain, nous terminerons notre octave de prières au grand archange pour la France, conservant la ferme espérance que notre pays, protégé de tout péril, empruntera le chemin tracé par la volonté divine.

Mais je voudrais dire quelques mots sur le miracle de notre icône de saint Michel.

Vous le savez, depuis le mois de mai elle distille de l’huile sanctifiée et odorante. Cette forme de miracle est bien connue dans l’histoire de l’Église ; le cas le plus fréquent est celui d’ossements ou de corps de saints embaumant ou répandant du liquide parfumé. Ce liquide est un genre d’huile ; parfois il s’en produit de telles quantités que l’on nomme ce phénomène : multiplication des parcelles. C’est le prolongement du miracle de la multiplication des pains, un petit ossement pouvant emplir des seaux entiers d’huile parfumée. Je vous citerai l’exemple de ces trois crânes d’anachorètes, se trouvant à Kiev, qui furent soumis à une expérience scientifique. On les plaça toute une nuit dans un four à très forte tension pour les sécher ; le matin, on trouva le four débordant d’une huile dont on remplit plusieurs seaux. Saint Nicolas, dont les reliques se trouvent à Bari, est le distillateur de myrrhe le plus renommé.

Que signifie ce phénomène ? Les uns peuvent s’en réjouir, les autres en être presque choqués, bien qu’à notre époque on se sente moins mal à l’aise devant ce genre de manifestation, mais si je me reporte seulement à cinquante ans en arrière, je pense que la plupart des fidèles auraient été surpris ou heurtés tant on avait pris l’habitude de séparer le monde spirituel et moral du monde physique.

La première explication de ce miracle, c’est que l’esprit et la matière se compénètrent, la matière agissant sur l’esprit et l’esprit pouvant et devant transformer la matière. Il existe un colloque permanent entre le ciel et la terre. Ainsi, les anges sont, ici, invisiblement présents, cependant que dans le même temps nos offrandes de pain et de vin deviennent le Corps et le Sang du Christ, et que nous-mêmes montons mystiquement vers le ciel. « Ils sont les hommes du ciel et les anges de la terre », chante l’Église lorsqu’elle célèbre les saints.

Cette pénétration mutuelle du spirituel et du matériel, du divin et du créé, cette marche simultanée vers le haut et vers le bas comme sur l’échelle de Jacob, telle est la première leçon du miracle, démontrant que les séparations et les luttes entre l’esprit et la chair sont dues à notre état de péché. En effet, si la matière et l’esprit étaient vraiment séparés, s’il n’existait aucune communication entre eux, que cela annoncerait-il ? La mort ! Qu’est-ce la mort, sinon la séparation du supérieur d’avec l’inférieur ! Qu’est-ce que la mort, sinon la séparation d’avec Dieu ! Qu’est-ce que la vie, sinon la compénétration. Il y a mariage mystique entre le haut et le bas, l’esprit et la matière, mais aussi divorce amené par le péché et la mort.

Lorsqu’un fait miraculeux se présente à nous, que ce soit une planche peinte dont les couleurs se renouvellent sans main humaine, un objet qui, soudain, répand une autre matière, c’est de la matière qui distille de la matière, l’icône qui distille l’huile, et nous touchons un miracle matériel. Quel en est le sens ? Ce phénomène exprime un mariage mystique, c’est-à-dire que cette planche ou cette huile ont été remplies de l’Esprit-Saint, qu’il s’établit un mariage mystique entre l’esprit et la matière. La matière est devenue alors prémices du monde nouveau où notre corps sera spiritualisé et notre esprit manifesté.

En réalité, nous distillons tous, du moins potentiellement, l’huile sainte, le parfum et la lumière car, ayant reçu le Saint-Esprit dans la confirmation, nous possédons ces éléments. Ils n’apparaissent pas en raison du divorce de notre esprit et de notre chair, que nous n’avons pas surmonté. Saint Paul écrit : « La chair combat l’esprit ».

Les saints parvenus à une certaine sainteté éclairent parfois les ténèbres physiquement et leurs corps dégagent une douce odeur. En disant physiquement, j’entends un phénomène physique contenant la plénitude de la grâce. Rappelez-vous ce passage où l’apôtre Jean déclare que nous sommes tous oints de l’huile sainte. Est-ce une image ? Oui. Est-ce un symbole ? Oui. Mais c’est aussi un symbole concret, car un jour les symboles s’identifieront à la matière et se manifesteront par la puissance de l’esprit.

Deuxième sens de ce miracle : rien n’est inutile et le hasard n’existe pas pour un chrétien, comme disait le patriarche Serge. Point d’accidents, point de non-sens dans les événements, aussi bien dans les moindres que dans les sublimes.

Pourquoi, alors, pouvons-nous nous demander, Dieu a-t-Il voulu que dans notre petit groupe, notre modeste Église catholique orthodoxe de France, ce miracle ait lieu ?

Les signes du ciel nous parviennent parfois à la veille des épreuves – c’est leur sens consolateur –, mais ils ne nous sont pas envoyés que pour redresser notre faiblesse – ce qui est déjà beaucoup ! –, ils apportent l’approbation du chemin choisi. Quand Israël demanda à Dieu un roi, que fit le prophète ? Il désigna et oignit le nouveau roi d’huile sainte. Pourquoi cette onction de Saül ou de David – le doux roi reçut l’onction dix-huit ans avant de prendre le pouvoir –, sinon parce qu’elle est le sceau, l’approbation, l’acceptation du ciel, disant par le symbole : « Celui-ci sera le roi ». Pour nous, le miracle de notre icône de Michel archange concrétise la parole de Dieu : « Mon peuple royal, Je te oins. Ne doute pas. Qu’il y ait des épreuves ou non, qu’il y ait des difficultés ou qu’il n’y en ait point, ne crains pas le succès souvent plus périlleux que les souffrances, ne doute pas. J’ai oint Mon serviteur David, Je veux que Mon peuple royal, cette petite Église orthodoxe de France soit aussi approuvée par Mon Esprit. »

Mais pourquoi l’archange Michel et non la Vierge ? Pourquoi en telle circonstance et sous telle forme ? Quel rapport y a-t-il entre cette onction, cette distillation de l’huile, et le séraphin ?

Parce que Michel archange représente la lutte spirituelle. C’est lui qui combattit Satanaël et sortit victorieux de ce combat. Le premier message que notre Église orthodoxe doit apporter aux autres, c’est la lutte spirituelle. Je m’explique. Beaucoup de religions ou d’écoles spirituelles enseignent qu’il faut s’en remettre à la grâce, prier Dieu, et Dieu donnera ce qu’Il donnera. D’autres conseillent de baser la vie spirituelle sur la crainte du mal et de l’éviter afin de ne pas être puni, etc. Mais, selon saint Michel et les Pères du désert, notre vie spirituelle doit être une lutte perpétuelle intérieure. Il est nécessaire, pour apporter la paix aux nations et aux peuples, de se combattre soi-même du matin jusqu’au soir et du soir jusqu’au matin. Certains paresseux dans la vie sont malheureux précisément parce qu’ils sont paresseux ; soudain, quelque chose se déclenche en eux et le bonheur leur arrive. Il en est de même pour la paix intérieure ; elle est au bout de la lutte.

De plus, la Providence a voulu que notre icône miraculeuse soit celle de saint Michel, l’ange qui protège la France – car chaque peuple est dirigé par « son ange », dit le prophète Daniel –, ceci pour nous montrer – quel paradoxe ! – que notre petite Église est liée à la destinée de notre pays.

Et enfin, ce miracle, que je lie à un autre miracle qui m’impressionna beaucoup, me troubla même : un jour, en célébrant la messe des malades, je m’aperçus, lorsque je voulus donner la communion que ma main dégouttait d’huile, annonce que Dieu accordera, en raison de notre faiblesse et de celle des autres, à certains des fidèles de notre Église, des dons, des grâces de guérison, de soulagement. Il nous les donnera parce que l’être humain a besoin d’être soutenu par les miracles.

En réalité, mes amis, le miracle des miracles, n’est-ce pas l’eucharistie ! Peu de gens le comprennent. On y croit, on l’accepte, mais combien la vivent-ils ? Car elle cache pudiquement sous le symbole la réalité spirituelle. Le mariage spirituel véritable se produit à chaque messe : c’est la communion. L’eucharistie est là, présente, derrière le rideau que seule une foi solide peut percer, tandis que le miracle qui se manifeste visiblement, soutient la foi. Je ne veux pas, certes, diminuer le miracle visible ; il est les prémices, une étape de ce qui paraîtra à la fin des temps, lorsque l’eucharistie dégagée du rideau des symboles, non seulement atteinte par la foi, la confiance et la confession, éclatera dans sa réalité, plénitude du mariage entre Dieu et l’univers.

Amen.