Avant-propos

 

Issu du lointain passé chrétien de l’Occident, passé vécu dans la communion de l’Eglise indivise, le phénomène complexe qu’est "l'Orthodoxie occidentale" apparaît entre les deux guerres mondia­les. Il voit le jour dans le climat créé par le mouvement de renouveau liturgique né à la fin du XIXe siècle au sein de l'Eglise catholique romaine ainsi que, simultanément, dans l’Eglise de Russie. En lui se concrétise la conjonction d’une recherche tâtonnante et d’une vision prophétique. D'une part des Français cherchaient des réponses à des questions restées en suspens depuis l’époque de la Réforme, en même temps qu’un complément d’expérience nécessaire à leur quête de plénitude spirituelle : venu à sa rencontre, l’enseignement de l’Eglise orthodoxe va combler leurs aspirations plus ou moins conscientes. D'autre part, se sentant porteurs d’un témoignagne inchangé depuis l’Elise primitive, quelques jeunes Russes, projetés en France par la Révolution de 1917, vont y découvrir les richesses d’un patrimoine chrétien jusqu’alors dissimulé à leurs yeux par les vicissitudes de l’histoire.

C’est dans cette perspective que sera entreprise une "restauration" de l’ancien rite dit "des Gaules", rite qui fut celui de l’Occident pendant environ 400 ans, lorsque n’existaient pas encore deux entités séparées : un Orient chrétien et un Occident chrétien. Un tel retour aux sources avait déjà été tenté épisodiquement dans le passé, mais sans succès durable. Il fallait sans doute une conjoncture historique propice, celle-la même qui a donné naissance au mouve­ment oecuménique.

Cet élan vers l’Orthodoxie répondait à un double besoin : celui de retrouver la spiritualité orthodoxe, mais sous des formes spécifi­ques, celles "d’un type d’Orthodoxie propre à l’Occident qui, par un retour aux sources traditionnelles locales, pourrait, sur certains points, différer notablement du rite oriental" (1). D’où la constitution d’une nouvelle formation ecclésiale, reconnue en 1936 par le patriar­cat de Moscou comme "Eglise orthodoxe occidentale", et dénom­mée en 1946 "Eglise orthodoxe de France", puis en 1960 "Eglise catholique orthodoxe de France" - en abrégé E.C.O.F. - et qui, depuis 1972, se présente sous la forme d’un Evêché autonome dans l’obédience du patriarcat de Roumanie, seul pays latin à majorité orthodoxe.

La nouveauté de cet état de choses pose des problèmes délicats. Dans l'étape historique que nous vivons, notre propos est de tenter - ce qui n’a pas encore été fait à ce jour de façon exhaustive et impartiale - de dégager les dimensions ecclésiologiques du mouve­ment de restauration liturgique qui est à l'origine et à la base de l’Eglise catholique orthodoxe de France, pour mettre en lumière la part essentielle que celle-ci peut jouer dans la solution du problème le plus important, et à vrai dire le seul, qui se pose à l’Orthodoxie en Occident : celui de l’ecclésiologie.

Il apparaîtra ainsi manifestement qu’au sein de l’Orthodoxie univer­selle, le rôle propre à cette Eglise est de réaliser concrètement la rencontre, les retrouvailles de l’Orient et de l’Oocident.

Le présent ouvrage n’est pas un exposé de théologie, de dogmatique ou de spiritualité orthodoxes, sujets abondamment traités par ailleurs. Il est avant tout le récit d’une histoire vécue jour après jour par un témoin actif et engagé, et les réfléxions que cette histoire lui inspire.

 

(1) P. Lev Gillet, "Orthodoxie française", 1928.