1937 Notre union à l’Orthodoxie

 

Article dans U.S. n°1

 

La raison d’être de notre effort ne fut jamais la création d’un organisme ecclésiastique   selon notre fantaisie, mais au contraire la recherche à travers les données de la tradition chrétienne, des voies conduisant à l’unité spirituelle, cette unité qui ne peut être imposée du dehors, mais qui doit jaillir de la fidélité intérieure à la tradition.

Jamais nous n’avons pu envisager l’idée de former un petit groupe ecclésiastique isolé, une petite « hérésie » de qualité, une miniature artificielle sans possibilité aucune d’avenir, une pseudo-Eglise centrée sur nos conceptions à nous, ou bien tellement vague qu’elle aurait fini par laisser glisser sous des étiquettes et des gestes chrétiens des principes étrangers au christianisme lui-même.

C’est précisément la recherche loyale de ce catholicisme évangélique qui nous a conduit à découvrir pour notre part la richesse spirituelle, trop inconnue en Occident, de l’Ortho­doxie dont l’esprit est précisément empreint de liberté évangélique et de tradition catholique. Elle réalise, en vérité, la synthèse catholique-évangélique que nous n’avons pas dès lors à chercher dans des combinaisons artificielles, mais que la vie même de l’Eglise à travers les âges a élaborée. Quand nous avons reconnu ce fait, le devoir s’imposait à nous de rechercher des contacts de plus en plus intimes avec l’Orthodoxie, puis d’entrer en communion effective avec elle.

Mais, de prime abord, se présentait une difficulté inhérente à l’Orthodoxie et qui montre d’ailleurs son esprit de liberté intérieure. L’Orthodoxie n’est pas une organisation ecclésiastique centralisée, ayant un chef suprême de qui elle dépendrait tout entière, d’ailleurs elle n’admet en droit, malgré des déviations passagères, aucune domination extérieure sur l’Eglise, vie unanime de tous les fidèles. Pour elle, il n’y a pas d’autre Eglise enseignante que l’Eglise elle-même en sa totalité, et les conciles ne sont autre chose que le témoignage apporté par les évêques à la foi de l’ensemble. Chaque Eglise particulière est autonome tout en restant en intime communion avec les autres Eglises-sœurs et, dans les limites des règles posées par les conciles universels ou des coutumes reçues par tous, elle demeure libre de son organisation et responsable seulement devant l’Eglise entière. Si les anciens canons ont reconnu une primauté d’honneur d’abord au patriarche de l’ancienne Rome, puis au patriarche de Constantinople, la nouvelle Rome, s’ils ont reconnu la situation éminente des antiques patriarcats d’Antioche, de Jérusalem, d’Alexandrie, ils n’ont pas établi l’un ou l’autre des patriarches comme chef de l’Eglise universelle, ou comme évêque des évêques. Ce fut justement l’hérésie romaine que de prétendre à cette universelle juridiction, prétention qui, dès lors, créait le schisme papal séparant l’Eglise latine de l’Eglise traditionnelle. Les temps modernes ont vu, par suite de différentes circonstances, la constitution de nouveaux patriarcats à la tête d’importantes Eglises particulières; parmi ceux-là on peut dire que la première place appartient au patriarcat de l’Eglise russe. Des événements tout à fait inatten­dus dans lesquels nous ne pouvons pas ne pas voir l’action de la Providence (dont l’instru­ment fut un groupe de jeunes théologiens orthodoxes, soucieux depuis longtemps du pro­blème de la réunion de l’Orient et de l’Occident chrétiens, la Confrérie de Saint-Photius, à qui va toute notre affectueuse gratitude), des événements inattendus, dis-je, nous ont permis d’intéresser l’Eglise russe à notre situation et elle a accepté, avec une compréhension véri­table, de nous aider à sortir de notre isolement, et à régulariser canoniquement notre situation.

Je vous exposerai en détail, dimanche prochain, les modalités de cette réorganisation, mais, dès aujourd’hui, je tiens à insister sur ce point: il ne s’agit pas de créer une Eglise russe de plus en France ni même une Eglise orientale de langue française, il s’agit de réaliser, avec l’aide de l'Eglise de Russie, l'Eglise orthodoxe d’Occident, ayant, ou plus exactement, gardant son rite occidental, sa liturgie propre, ses traditions particulières, sa vie, son adminis­tration et devant aboutir un jour à l’exercice d’une autonomie complète. Quand nous entre­voyons les possibilités merveilleuses pour la grande cause de l’unité chrétienne, du rap­prochement des Eglises divisées, de la compréhension entre frères qui s’ignorent et ont déchiré la robe sans couture, qui s’ouvrent devant nous, nous sommes comme écrasés par la grandeur du but total et nous bénissons Dieu en lui demandant de subvenir à notre faiblesse et de nous donner lumière et force.

Nous sommes spécialement heureux d’être introduits dans la famille des Eglises orthodoxes par la grande Eglise patriarcale de Russie, grande non seulement par le nombre de ses fidèles, mais plus encore par les souffrances et les épreuves qui Tout purifiée, sanctifiée, dégagée de tout lien terrestre, grande par le sang de ses martyrs, par les prisons des confesseurs de la foi qui ont reconquis dans la douleur son indépendance apostolique, grande par son esprit missionnaire qui a débordé les frontières nationales. Par les contacts que les circonstances politiques ont créés, l’Eglise russe, répandue actuellement dans le monde entier, semble destinée à faire connaître l’Orthodoxie à l’Occident chrétien; par ses mystiques, scs philosophes, ses théologiens, elle prépare un épanouissement de vie spirituelle et de pensée religieuse que ses souffrances auront provoquées.