Avant-Propos

 

La parution du livre La Queste de Vérité d’Irénée Winnaert nous semble d’une actualité exceptionnelle. En effet, en face des réformes des derniers papes et du Concile Vatican II, Mgr Winnaert (1880-1937) dont ce livre raconte la queste héroïque, apparaît comme un prophète. Dès l’âge du séminaire jusqu’à la fin de sa vie, il travaille au renouveau liturgique, plaçant la liturgie au centre de la vie ecclésiastique. Plus de trente ans avant la restauration des solennités pascales par Pie XII, il chante dans son église, le soir du Samedi Saint, l’exultet en français. Quarante ans avant le Concile Vatican II, il revient à la communion sous les deux espèces et célèbre en langue vulgaire.

Son manifeste de 1918 présente un schéma ecclésial qui préconise la décentralisation et la collégialité des évêques. Il réclame de la hiérarchie « une autorité qui dilate les cœurs et ne comprime point les consciences ». Cette phrase ne pourrait-elle servir d’épigraphe aux séances des « pères » de Vatican II ?

Le problème judéo-chrétien, dont l’ampleur s’est affirmée après la dernière guerre, fut proche aussi de son cœur. Précédant de loin Jean XXIII, il supprime dans la clausule litanique pour les Juifs du Vendredi -Saint le qualificatif « perfides ». Il assiste avec respect et émotion au Yom Quipour et la synagogue libérale priera pour lui après sa mort.

Sitôt les premières manifestations de l’œcuménisme, il entre en rapport avec les inspirés de ce mouvement et organise en son église des réunions œcuméniques, le soir de Pentecôte.

Ancré dans la théologie paulinienne, il prêche le salut de toute créature par le Christ, car il aime ce cosmos qui attend « avec des gémissements inénarrables la liberté glorieuse des enfants de Dieu ». Sans être « teilhardien », son christianisme est cosmique.

L’Occident actuellement commence à découvrir l’Orthodoxie ; lui, en 1936, se convertit. Âme orthodoxe de naissance, sa foi est axée sur la résurrection joyeuse et victorieuse du Christ.

Le lecteur trouvera de multiples rapprochements entre la pensée de Mgr Winnaert et les temps actuels. Héraut des problèmes d’aujourd’hui, son regard annonciateur s’enfonce dans l’avenir.

L’actualité de sa personne et de son œuvre, voilà l’argument majeur de cet ouvrage remarquable.

Sa vie poignante est l’exode d’une conscience implacable, un pèlerinage d’amant de la Vérité vivante, le Christ. Malgré, ou plutôt à cause de sa vision universelle et de sa confiance en l’homme, il souffre l’incompréhension et la solitude. La solitude de son âme catholique rappelle celle d’un Basile le Grand ou d’un Maxime le Confesseur, et sa voie terrestre demeure le symbole de tous ceux qui préfèrent l’idéal à la carrière, le bien commun au bien propre, le salut de « tout en tous » à l’assurance personnelle.

Solitude spirituelle ne signifie pas isolement et mépris du monde ; le cœur pastoral de Mgr Irénée ressent tous les événements de son époque pour laquelle il sacrifie sa vie. À travers sa pensée, nous rencontrons le socialisme chrétien du Sillon, le conflit moral suscité par la Grande Guerre, nous côtoyons le Modernisme sous ses différents aspects, les mouvements spiritualistes, nous entrons en contact avec les mondes catholique-romain, protestant, anglican, vieux-catholique, israélite... pour communier, enfin, à l’Orthodoxie, à l’Église des martyrs de Russie.

Voici quelques-unes des figures qui traversent sa route : l’abbé Lemire, Marc Sangnier, le père Laberthonnière, le pasteur Wilfred Monod, Mgr Soederblom, Annie Besant, le pasteur Ugo Janni, le cardinal Dubois, Aimé Pallière, le métropolite Euloge, le père Serge Boulgakoff... le patriarche Serge.

La Queste de Vérité d’Irénée Winnaert est, on peut le dire, une fresque historique du christianisme entre les deux guerres, christianisme dont nous sommes les fils légitimes.

À tout cela, s’ajoute pour l’historien une valeur inestimable. L’auteur nous livre une documentation très riche et inédite qui, sans lui, aurait été inconnue et oubliée. Nous lui sommes profondément reconnaissants de ce labeur difficile. Il n’a pas adouci les ombres, ni craint la complexité d’une vie humaine et de son évolution historique.

La queste de Mgr Winnaert pose le problème de savoir si l’Orthodoxie est une forme de christianisme oriental ou un message universel ? En effet, sa conversion à l’Orthodoxie bouleverse des habitudes millénaires et ouvre des horizons nouveaux. Ce ne sont ni la splendeur des rites orientaux, ni la théologie des Pères grecs qui l’attirèrent, mais la fidélité de l’Orthodoxie à l’Église indivise. Il est émerveillé de son message universel, de sa vision ecclésiale et dogmatique qui donne une réponse dynamique aux exigences modernes. Adhérant au sol natal, Mgr Irénée sauvegardera attentivement dans son Église les formes liturgiques et canoniques occidentales. Son orthodoxie est, en vérité, la solution du dialogue catholique évangélique.

Curieusement, sans même s’en rendre compte, il déplace par sa vie le problème de l’union entre l’Orient et l’Occident chrétiens. Ce problème ne sera plus posé par le conflit de deux civilisations : orientale et occidentale, deux fractions ethniques et géographiques face à face, mais par deux visions différentes du christianisme, chacune pouvant s’appliquer aussi bien à l’Orient qu’à l’Occident et plongeant au cœur de l’Église traditionnelle. Il ne s’agit plus d’être « latin » pour se sentir catholique romain ou « grec » pour se sentir catholique orthodoxe, il s’agit d’être chrétien et de penser « catholiquement, orthodoxement ».

Écrit dans un style vivant, pur, direct, imagé, rapide, condensé, ce livre est émouvant. L’auteur, au moyen de nombreuses citations des écrits de Mgr Irénée Winnaert, nous donne l’amitié d’une intelligence de large synthèse, nuancée, puissante, dépourvue d’agressivité, survolant et le « progressisme » et « l’intégrisme », grâce à la stabilité vivante d’une foi authentique et d’une attention compatissante aux palpitations de l’âme contemporaine.

En terminant ce bref avant-propos, nous remercierons l’auteur de son travail et nous appelons sur lui la bénédiction de la Divine Trinité.

 

Jean Kovalevsky

évêque de Saint-Denis