Appel aux orthodoxes de France

 

Appel de Pâques 1948 publiée dans le livre « Orthodoxie et Tradition française », Éditions ENOTIKON, 1957.

 

La dispersion des orthodoxes dans le monde entier, voulue par la Providence, est venue réveiller sur le sol de France la pure doctrine de l’Orthodoxie. Nombreux sont ceux qui, fixés maintenant dans notre pays, partagent de nouveau avec nous les richesses de leurs Églises orientales que nous avions laissé perdre.

Mais venant d’horizons différents et rattachés habituellement à des organisations du dehors, beaucoup se trouvent désorientés, n’ayant pu réaliser l’unité organique qui leur aurait permis de défendre les intérêts orthodoxes comme tels, aussi bien auprès du Gouvernement et des administrations françaises, qu’auprès des différentes collectivités privées. Officiellement, l’Orthodoxie n’est pas reconnue en France, étant considérée comme la religion d’étrangers de passage. Dans les grandes manifestations nationales, il n’y a place que pour les représentants des cultes catholique romain, protestant et israélite. Cependant, 52.000 citoyens français orthodoxes, sans compter les apatrides, étaient déjà dénombrés avant la guerre, mais faute d’union et d’une organisation représentative, leurs droits, qui sont ceux de tous les Français, restèrent méconnus.

Ainsi, malgré la mobilisation et la captivité de nombre d’entre eux, il fut impossible d’obtenir l’octroi pendant la guerre d’une aumônerie militaire orthodoxe comme pour les autres cultes. A l’heure actuelle, il est impossible également de faire désigner et agréer officiellement des aumôniers orthodoxes pour les casernes, les hôpitaux et les prisons. L’assistance officielle et privée qui a des relations suivies avec les différentes hiérarchies religieuses ignore l’Orthodoxie et les besoins de ses œuvres, de ses fidèles et de son clergé. Egalement dans le domaine de l’éducation, pas d’aumôniers orthodoxes dans les lycées et collèges, pas d’écoles libres orthodoxes (en dehors des Instituts supérieurs de Théologie) car celles qui pourraient être ouvertes ne le seraient qu’à un échelon particulier restreignant leur recrutement et les vouant d’avance à l’échec. Le fidèle orthodoxe qui veut pour ses enfants une éducation et une instruction religieuses n’a donc à sa disposition que des établissements catholiques-romains ou protestants. Il préfère souvent se résoudre à un enseignement laïque qui peut être la perte de la Foi. La défaillance des jeunes dans nombre de communautés n’a pas d’autres cause. Que dire aussi du clergé (surtout celui des petites communautés isolées) sans soutien matériel et sans possibilité de bénéficier, par exemple, de coopératives d’achats pour les besoins du culte ou ses propres besoins, faute de pouvoir établir sur le plan national (le seul rentable) des organismes annexes de l’Église. Ajoutez à tout cela le trouble du Français venant d’autres confessions et témoin de ces divisions et de ce manque d’organisation pratique.

Il est temps de réagir, dans l’intérêt de l’Église et le Bien de tous, en venant à l’union locale. Attestation de l’universalité de l’Orthodoxie, elle est voulue et ordonnée par les Règles Apostoliques et Conciliaires. Là seulement est le salut.

C’est pourquoi, des laïcs français d’origine, reconnaissants de ce qu’ils doivent à l’Orthodoxie, et désireux d’aider leurs frères français des différentes communautés de la Diaspora à réaliser cette unité organique indispensable, ont créé avec des Français d’origine bulgare, géorgienne, grecque, roumaine, russe et yougoslave, un Comité préparatoire à l’organisation d’une Église du lieu dont la forme canonique sera fixée par le pouvoir ecclésiastique, les laïcs préparant et proposant, les hiérarques bénissant et fixant.

Mais si cette tâche est belle, elle est également lourde, car il ne s’agit pas d’imposer le point de vue de quelques-uns, mais de prendre conscience des mentalités différentes et des besoins de chacun de façon à réaliser, dans la foi et la charité, le bien de tous. Aussi, en dehors de toute acception politique ou nationaliste (nous ne voulons connaître que l’Amour et la Vérité qui nous unissent par l’Église), et dans le respect des différents rites (le rit occidental a la bénédiction de l’Église au même titre que l’oriental et l’un et l’autre trouvent leur place dans la vie liturgique actuelle de nombreuses paroisses), faisons-nous appel à nos frères orthodoxes, citoyens français, pour nous aider à jeter les bases de cette Église orthodoxe locale de France qui, sous la direction canonique de pasteur légitimes, et côte à côte avec les groupements orthodoxes des « résidents étrangers » dont l’affection fraternelle nous est chère mais les préoccupations différentes, saura concilier le respect des anciennes et vénérables coutumes orientales avec les nécessités d’un apostolat occidental auprès de jeunes générations assimilées ou de Français autochtones venus d’autres confessions.

Il ne s’agit pas de « franciser », mais d’unir dans le respect de diversités légitimes afin que chacun trouve dans un milieu orthodoxe français une réponse à toutes les préoccupations du moment.

Que tous ceux qui partagent notre opinion et veulent seconder nos efforts s’inscrivent à notre Comité provisoire qui les accueillera avec joie. CHRIST EST RESSUSCITE !

Le Président : Jean BALCAEN. Le Secrétaire-Général : Jean BALZON.[1]

Cet appel a été matérialisé par la constitution par les voies légales d’une Union d’associations cultuelles orthodoxes françaises, intitulée : ÉGLISE ORTHODOXE DE FRANCE.

 


[1] Ce texte non signé d’Eugraph Kovalevsky présente néanmoins la marque de thèmes, de formules et d’images, de développements très proches de ceux employés par lui, au point même qu’il nous a paru intéressant de l’intégrer dans cette série d’articles.