Notes sur la liturgie

 

Feuille manuscrite retrouvée dans les papiers de l’évêque Jean de Saint-Denis après sa naissance au ciel publiée par "Présence Orthodoxe" n°45.

 

—        La liturgie de l’Église exprime- t-elle pleinement la liturgie idéale, céleste éternelle, révélée en partie par la vision des prophètes et la révélation du théologien bien-aimé, Jean ?

—        Non, la liturgie de l’Église contient en elle la parfaite liturgie céleste, mais cachée derrière les formes imparfaites ; elle reflète, elle est en commu­nion mystique et réelle avec la liturgie céleste, mais elle n’exprime pas toutes ses formes extérieures, pleinement.

—        Ne peut-on pas perfectionner et, par un effort, parvenir à la conformer absolument à la liturgie idéale, céleste, éternelle ?

—        On peut la perfectionner, et l’on doit toujours aller vers la perfection dans tous les domaines ; celui qui n’avance pas, recule. Mais attention ! Si la perfection est trop grande, la liturgie peut être trop élevée pour ceux qui sont appelés à y participer.

—        Mais si les participants ne sont pas capables de s’élever à la liturgie « perfectionnée », doit-on tenir compte des « incapables » qui restent en dehors ?

—        Cette position, cette attitude est hérétique, antiliturgique, fausse, tout à fait opposée à l’esprit de l’Église, diabolique. Le but de la liturgie de l’Église n’est pas seulement de refléter fidèlement la liturgie céleste et éternelle — une telle idée ne peut naître que dans un esprit dépourvu des connaissances élémentaires de la vie spirituelle — mais d’amener le monde entier peu à peu, la nature et l’humanité, à communier avec le Ciel, entraîner l’univers dans la louange de la Trinité. La liturgie de l’Église est l’échelle entre le Ciel et la Terre, entre le Créateur et la créature avec deux extrémités, l’une solidement enfoncée dans la terre, l’autre bien fixée dans les hauteurs, auprès de Dieu. D’une part, si elle s’arrête à mi- chemin et ne touche pas à l’infini céleste, c’est une fausse liturgie ; d’autre part, si elle n’a pas d’assise ferme sur la terre, elle est trop élevée pour le pied d’un pécheur, c’est aussi une fausse liturgie. Liturgie angélique, liturgie humaniste : deux fausses liturgies ! Liturgie angélico-humaine, sublime et populaire : voilà la vraie liturgie.

Celui qui cherche uniquement la perfection se trompe ;

celui qui cherche uniquement l’adaptation à la mentalité des masses, se trompe ;

celui qui dit que la forme liturgique est parfaite, se trompe ;

celui qui dit que la forme liturgique est périmée, qu’elle a besoin de réforme, se trompe ;

ces deux dernières hérésies sont d’une autre nature que les deux premières : les deux premières séparent et ainsi suppriment l’Église, les deux dernières sont athées.

—        Mais si la liturgie doit tenir compte et du Ciel et de la Terre, et de ceux qu’elle appelle à participer, ne peut-on pas créer des liturgies selon les capacités, comme dans l’Évangile, où les Douze participèrent à des Mystères plus parfaits que ceux auxquels assistèrent les foules, et où trois élus parmi les Douze, furent témoins de la liturgie sublime de la Transfiguration du Fils de Dieu, sur le Mont Thabor. Ne peut-on pas faire une « échelle liturgique » ?

—        Pour prendre part à une liturgie parfaite, il faut être plus vénérable que les Chérubins et plus glorieux que les Séraphins, passer à travers les symboles, se sanctifier. Nous sommes loin de cette perfection. Le chemin est long... On peut aller vers la perfection, sans prétendre l’atteindre vite. Le perfection­nement de la liturgie dépend beaucoup plus de la purification intérieure, de la lumière incréée agissant dans les saints, que des constructions et des études liturgiques, qui ont leur place, mais très humble, et qui peuvent, sans lumière divine, nous conduire aux pires erreurs. Voulant faire mieux, nous ferons pire et nous tomberons dans des fautes grossières.

La liturgie a pour sens d’embrasser « tout en tous » et de faire entrer en communion le pécheur, le saint et l’ange.