Extrait de la commission liturgique de 1968 présidée par l’évêque Jean de Saint-Denis publié aux éditions de Forgeville n°9.
I. DEFINITIONS
Le mot « source » a plusieurs significations. Il est évident que la Source Primordiale de la liturgie est le Saint-Esprit et la Tradition vivante de l’Église. Nous nous limiterons dans ce chapitre aux sources-documents qui servirent à la restauration du rite des Gaules.
Il ne suffit pas de rassembler les documents, il incombe de les analyser et de les situer dans leur contexte historique. Les manuscrits sont des êtres vivants avec lesquels l’historien doit prendre contact si cela est possible et ne pas se fier seulement aux éditions postérieures. Prenons un exemple :
Le manuscrit majeur pour la restauration de l’ancien rite des Gaules est « Les lettres de saint Germain » (« Expositio missae gallicanae »). Ces lettres sont conservées dans la Bibliothèque Municipale d’Autun (Mss. G. III (184) f. 135 r. v ; le texte qui nous intéresse se trouve ff.114 v-122v). Nos liturgistes ne se sont pas contentés de l’étudier à travers leurs diverses éditions, ils se sont rendus sur place afin de compulser le manuscrit lui-même, ce qui leur a permis de discerner divers détails inaperçus des autres spécialistes n’ayant pas la même préoccupation : par exemple, le soin pris par le copiste pour dessiner la majuscule S du « Sonus », indiquant de cette sorte la valeur de la Grande Entrée à une époque où le rite romain commençait déjà à s’imposer…
Quant aux auteurs anciens et modernes, tout en leur portant une profonde reconnaissance et en admirant leur science et leur labeur, il est bon de ne pas les prendre à la lettre mais avec réserve, car derrière l’homme de science objectif, se profile inévitablement l’homme du milieu, de la confession, la personnalité propre. L’objectivité historique, malgré le nombre des citations, est souvent plus apparente que réelle. L’Écriture Sainte n’y échappe pas…
Reprenons les « Lettres de saint Germain ». Nous possédons sur elles une riche littérature contradictoire. Tout le monde s’accorde pour affirmer que ce manuscrit est l’exposé de la liturgie de France du VIe siècle, mais si saint Germain de Paris est reconnu par les uns comme auteur des lettres, il est nié par les autres.
A. Hauck (art. « Germanus, Bf von Paris » dans Real. Enziklopäd. 1899), H. Koch (« Die Büsserentlassung in der abendländischen Kirche » dans Theol. Quartalschr. 1900), enfin, E. Bishop, suivi de Dom R.H. Connolly et Dom Wilmart, sont les négateurs.
Les motifs du rejet de saint Germain de Paris comme auteur de ces lettres sont divers et bien discutables ! Mais il est important de souligner que le dernier en date est Dom Wilmart qui collabora au « Dictionnaire d’archéologique chrétienne et de liturgie » de Dom Cabrol, étant chargé par ce dernier de l’article : « Germain de Paris » (t.VI, 1903). La réputation de son nom ajoute, de ce fait, du poids à son hypothèse tendancieuse.
Quelle est la raison psychologique de l’attitude hostile envers le rite des Gaules, en général ?
Connolly et Wilmart, disciples de Bishop, étaient épris de la liturgie romaine, méprisant la richesse de la liturgie d’Orient et des Gaules dont le style était taxé par eux : « d’ampoulé, précieux, prolixe, compliqué, trop sensible, extérieur, dramatique, symbolique, loin de la sobriété, austérité et simplicité des formules romaines ».
À l’opposé, ceux qui les précédèrent : Dom Martène et Dom Durand qui découvrirent en 1709 le manuscrit, Dom Rivet (« Histoire littéraire de la France » t. III, 312, 313), le célèbre père Pierre Lebrun (« Explication littérale historique et dogmatique des prières et des cérémonies de la messe » t. II, 240-241 ; 1726), Dom Ceillier (« Écrivains Ecclésiastiques » XI, 308), A. Franz (« Die messe im deutschen Mittelalter », 1902), F. Probst (« Abendländische messe im V. bis VIII Jahrhundert », Münster, 1896), P. Lejay (« Revue d’Histoire et de Littérature religieuse », 188, 1897), Monseigneur Duchesne (« Origines du culte chrétien » éd. 1898, p.147 et éd. 1920, p.163) et Monseigneur Batiffol (« L’Expostio liturgae gallicanae attribuée à saint Germain de Paris » dans « Études de liturgie et d’Archéologie chrétiennes », Paris, 1919) s’inclinent devant l’authenticité des lettres de saint Germain.
Le dernier mot de la science revient à deux liturgistes orthodoxes : l’archiprêtre E. Kovalevsky dans « La sainte messe selon l’ancien rite des Gaules » (1956), et l’Archimandrite A. van den Mensbrugghe dans son article précité : « l’Expositio Missae gallicanae est-elle de saint Germain de Paris » (1959). Ces deux œuvres, et par excellence la deuxième, expriment une fine critique de la critique historique, en particulier de la thèse Koch-Bishop-Wilmart.
Concluons par les paroles de l’apôtre Paul : « N’éteignez pas l’Esprit : mais examinez toutes choses ; retenez ce qui est bon » (1 Thes. 5, 19-20).
II. DOCUMENTS
Il est certain qu’avant d’étudier la liturgie des Gaules, il est indispensable de connaître les sources primitives : la Didaché, la Didascalie, la Tradition Apostolique (saint Hippolyte), les Constitutions Apostoliques, etc., les œuvres patristiques de saint Ignace, saint Irénée, saint Cyprien… de se familiariser avec les rites antiques aussi bien d’Orient que d’Occident. (Nous avons signalé plus haut que la compénétration des rites dans l’Église indivise était un fait incontestable).
De ce point de vue tous les documents sont indispensables à la restauration d’une liturgie, et celle des Gaules est privilégiée ; un groupe de manuscrits et de documents la ressuscitent.
La Commission liturgique de 1961, précitée, a publié avec remarques, sur deux colonnes, les lettres de saint Germain et la liturgie célébrée actuellement par l’Église orthodoxe de France.
Les « Lettres de saint Germain » contiennent une explication symbolique, à la manière de Nicolas Cabasilas, du déroulement de la liturgie. Sans être l’Ordo, au sens strict de ce mot, elles nous fournissent pourtant des fondements solides.
Saint Sulpice Sévère (Ve s.) : « Vita S. Martini »
Saint Jean Cassien de Marseille (Ve s.)
Saint Gennade (Ve s.) : « De eccles. Dogmat. »
Saint Grégoire de Tours (VIe s.) dont les ouvrages historiques et hagiographiques content les cérémonies : « Vies des Pères », « Histoire de France », et son « Cursus ecclésiastique » qui témoigne d’un grand intérêt pour la liturgie.
Saint Fortunat (VIe s.), ami de Saint Germain. Son éloge de ce dernier et ses autres ouvrages nous fournissent d’intéressants éléments de la vie de son temps (« Venanti Fortunat Opera » éd. Luchi).
Saint Avit de Vienne (VIe s.)
Saint Sidoine Apollinaire de Clermont (VIe s.)
Saint Faust de Riez (VIe s.)
Saint Césaire d’Arles (VIe s.) et son successeur saint Aurélien (VIe s.) dont les œuvres amplifient la connaissance liturgique de cette période (P.L. les t. XLII, LVIII, LXVIII, LXXII).
Saint Gery de Cambrai (VIIe s.) (Annal. Bolland. 7e vol.)
Saint Isidore de Tolède (VIIe s.). La liturgie d’Espagne est si proche de celle des Gaules que les liturgistes, du XVIIIe siècle à nos jours, considèrent qu’ils peuvent s’en servir pour combler ce qui manque dans les manuscrits mérovingiens.
Concile d’Agde (509), de Lyon (517), de Vaison (529) – ce dernier impose, par exemple, les Trisagions indiqués par les « Lettres de saint Germain », de Mâcon (585), de Rouen (650), de Nantes (658), etc. (sur les Conciles, voir Hefele, t. II).
Les missels gallo-mozarabes donnent :
Des « collectes post-nomina » et des « collectes du baiser de paix » entre les « sonus » (grande entrée) et « canon eucharistique », ce qui prouve que dans ce rite les diptyques, suivis du « baiser de paix », étaient placés en cet endroit.
Des « prières post-pridie » (prières « après la veille ») qui nous montrent que les paroles de l’Institution commencent par : « Qui, la veille de Sa Passion », et non « la nuit où il fut livré… »
Parmi les missels typiquement gallicans nous avons, tout d’abord, les « Missale gothicum gallicanum » (nommé par certains : « Missel d’Autun ») et « Missale gothicum vetus ». Ces manuscrits du VIIe siècle renferment aussi des textes du IVe, dont le célèbre Exultet. Ils furent trouvés et publiés par Tommasi et réimprimés par Migne (P.L. t. LXXII).
En 1850, Mone publie un Missel de la fin du Ve siècle. Il est probablement d’origine auxerroise et s’achève par la messe de saint Germain d’Auxerre (P.L. t. CXXXVIII).
Le Missel de Stowe découvert en Allemagne au XVIIIe siècle, fut publié par Warren en 1881. Tout en contenant des particularités celtes et en mélangeant le canon romain et le canon gallican, il nous fournit, entre autres, les Litanies (Ecténie) dites de saint Martin (« Supplicatio S. Martini ») auxquelles les « Lettres de saint Germain » font allusion sans en donner toutefois le contenu. Ce missel n’est pas le seul à nous les transmettre.
Nous les lisons dans le manuscrit de Fulda, copié par Witzel, dans la Collection Vallicellana (transcrite par Tommasi), le Sacramentaire de Bergame Xe siècle) le Sacramentaire de Biasca (Xe siècle). Cette série de documents appuie les Litanies de la messe selon saint Germain.
Le missale francorum, œuvre provenant probablement des environs de Poitiers, contient des éléments gallicans.
Le Sacramentaire de Bobbio (XIe siècle), découvert à Bobbio et publié par l’infatigable Mabillon, est un document utile possédant des prières antiques (P.L. t. LXXII).
Le missale mixtum (P.L. t. LXXXV). Cette nomination vient de ce qu’il est un mélange de l’ancien rite de Tolède avec celui de Rome. Il fut publié par le Cardinal Ximénes, au XVe siècle.
La grande reconnaissance des Liturgistes va vers Marius Férotin qui publia en 1904 le « Liber ordinum » et, en 1912, le « Liber mozarabicus sacramentorum ». Cette publication, ainsi que celle des œuvres de Bianchini (1746) sur la liturgie espagnole, amplifie largement notre connaissance du rite gallican, agrandit le champ des recherches. Soulignons, à nouveau, que les rites gallicans, mozarabe et celte, malgré quelques variantes, forment un même rite. La concordance de leurs témoignages nous permet de revivre la liturgie des VIe et VIIe siècles de la France et de l’Occident.
Les Sacramentaires romains : les Gélasiens (l’un d’eux est classé par plusieurs liturgistes parmi les manuscrits gallicans), le Léonien, le Grégorien ne sont pas à négliger ; dans le chapitre sur le rite des Gaules, nous avons cité des exemples de pénétration des sacramentaires romains dans le missale gothicum gallicanum.
Les missels-sacramentaires qui nous sont parvenus en grand nombre, s’échelonnant du Xe au XIIe siècle, nous procurent des éléments intéressants.
Le Lectionnaire de Luxeuil, découvert par Mabillon en 1683. Remarquons en passant qu’il fortifie le témoignage de saint Germain sur le chant dans la liturgie : « Tu es béni, Seigneur, Dieu de nos pères… »
Semblable à lui est le Lectionnaire d’Autun ou de Würzburg, découvert par l’inégalable ouvrier liturgiste, Dom Morin (XXe siècle) – consulter ses articles dans la « Revue Bénédictine ».
Parmi les antiphonaires gallicans, indiquons l’Antiphonaire de Bangor (P.L. t. LXXII).
Voici les principaux manuscrits :
Les Sacramentaires de Bergame et de Biasca (cités précédemment au sujet des litanies dites de saint Martin), l’Ordo de Berold, le Missel Ambrosien, édité par Dom Martin, ainsi que les œuvres de saint Ambroise, principalement le « De Sacramentis » (voir « Le canon eucharistique » de E. Kovalevsky[1]).
On a retrouvé dernièrement des fragments d’anciens livres gallicans : « lectionnaires », « antiphonaires », « sacramentaires » ; la bibliographie la plus complète est donnée par Dom Leclercq dans le D.A.C.L. sous le nom « Gallicane liturgie ».