Les Heures

 

Extrait du livre Orthodoxie et Occident de Maxime Kovalevsky

 

C’est toujours dans le même esprit de retour à la tradition indivise, qu’a été effectuée la recherche des formes de l’office pour la célébration des Heures[1]. Les structures choisies remontent à la Règle de saint Benoît (Ve s.) qui, dans le respect de la tradition, demeure protégée et vécue jusqu’à nos jours dans les monastères bénédictins. La tradition bénédictine est peut-être le seul témoignage survivant tangible de l’unité liturgique, voire de l’unité culturelle de l’Occident[2].

Il est remarquable que la tradition bénédictine prenne ses sources organiques dans les expériences et traditions de l’Église primitive et dans la théologie patristique classique. Saint Basile le Grand, saint Pacôme, saint Augustin, saint Jean Chrysostome, saint Jean-Cassien sont les autorités sur lesquelles s’appuient constamment saint Benoît et ses disciples. Il s’agit non d’une création personnelle de saint Benoît, mais de l’éclosion d’une tradition mûrie pendant trois siècles dans l’Église universelle indivise.

On constate actuellement, surtout dans le monde catholique romain, un intérêt croissant pour les usages monastiques et paroissiaux de l’Église orthodoxe d’Orient comme si, en raison de son conservatisme, elle en avait obligatoirement préservé les formes premières authentiques dans toute leur pureté, ce qui est d’ailleurs vrai quant à la doctrine mais faux quant aux usages. Ceux-ci sont théoriquement régis par les règles de célébration liturgique contenues dans le Typicon, recueil qui représente une synthèse complexe et riche de règles, revues par Théodore le Studite et ses élèves, des grandes Églises de Constantinople et de Jérusalem.

Prises rigoureusement dans leur forme complète, ces règles conduisent à des offices d’une telle durée et d’une telle complexité que, pratiquement, elles sont inapplicables. Dans la vie religieuse aussi bien monastique que paroissiale, on a donc procédé et on procède encore toujours par abréviations et simplifications. Or ces abréviations et ces simplifications sont réalisées de manière très différente selon les Églises locales et même selon les diocèses et, à la limite, selon les monastères et les paroisses.

Il suffit de comparer par exemple les célébrations des vêpres et des matines telles qu’elles sont pratiquées aujourd’hui respectivement dans les Églises russe, grecque et roumaine, ou encore au Mont-Athos, pour constater que la structure théoriquement commune de ces offices y est pratiquement indiscernable pour une personne qui n’est pas spécialisée dans le domaine de la recherche liturgique. Il est donc très délicat pour quelqu’un qui cherche à revenir aux usages de l’Église indivise sans être lui-même un savant, de les retrouver à travers la pratique liturgique actuelle des Églises d’Orient. Il risquera fort de prendre comme critères d’authenticité orthodoxe des usages locaux temporaires, ou certaines façons particulières ou personnelles de célébrer et de chanter. Force est donc de constater que l’adoption de la structure des Heures des Églises d’Orient telles qu’elles se présentent en cette fin du XXe siècle ne constitue pas un retour idéal vers une tradition de l’Église indivise. Par contre, presque tous les textes de ces mêmes Heures sont autant de chefs-d’oeuvre de poésie théologique dont l’authenticité patristique et la valeur pédagogique ne sont mises en doute par personne.

Il se confirme donc que, pour parvenir à un renouveau liturgique qui ne soit pas coupé de ses racines locales, il était tout naturel pour l’ensemble du rituel destiné à l’Église orthodoxe de France[3], de s’appuyer sur des documents occidentaux incontestables, antérieurs aux écrits fixant les us et coutumes d’Orient, et en les enrichissant pour les parties variables, de textes poétiques patristiques de toutes origines.

 


[1] Vêpres, compiles, nocturnes, laudes, prime, tierce, sexte, none.

[2] C’est sur la règle bénédictine que se fonde le monastère orthodoxe Saint-Michel à Bois- Aubry, dans le Poitou, qui dépend de l’Église catholique orthodoxe de France. Et pour les moines et moniales de l’ECOF, il est naturel de porter les habits bénédictins traditionnels, témoignages visibles de cette survivance ininterrompue.

[3] Reprenant un des rites datant de l'indivision chrétienne, il était tout naturel de vêtir les célébrants de chasubles et de dalmatiques telles que les représente l’iconographie de la même période, et de coiffer l’évêque de la mitre calquée sur le modèle ancien. Ceci provoque la suspicion de ceux qui, habitués aux offices byzantins, croient voir là des ornements ‘romains’, susceptibles de créer une confusion. La même défiance touche le sanctuaire qui, dans les Églises de l’E.C.O.F., n’est pas dissimulé par la haute iconostase telle qu’elle est venue tardivement dans les Églises d’Orient séparer les fidèles du clergé aux moments les plus importants de la célébration eucharistique.