Du discernement dans le choix des textes du rite des gaules

 

Extrait du livre « Le Canon Eucharistique de l’ancien rite des Gaules » du père Eugraph Kovalevsky publié aux éditions de Forgeville n°10.

 

Ce troisième chapitre nous permettra d’introduire le lecteur dans le laboratoire d’analyse des textes car leur choix ne peut être fait à la légère ; il exige autant de méthode que de tact dans le discernement.

La liturgie n’étant jamais parvenue à se cristalliser définitivement, le choix reste légitime. Mais il est certain qu’une trop grande instabilité risquerait de supprimer le caractère objectif ou de troubler le célébrant et les fidèles. Les conciles ont souvent lutté contre une liberté désordonnée, réprimant les formules de prières douteuses du point de vue dogmatique ou bien de mauvais goût, sans étouffer pour cela la création individuelle et les variantes.

Le Concile d’Afrique, au IVe siècle, auquel assistait probablement saint Augustin, indique les deux critères : le critère dogmatique et le critère de beauté : « On ne récitera dans l’Église que les prières, les oraisons, les messes, les préfaces, les recommandations, les impositions des mains qui auront été composées par des personnes habiles ou approuvées par un concile, dans la crainte qu’il ne s’y rencontre quelque chose qui soit contre la loi, ou qui ait été rédigé avec ignorance et sans goût ! »[1]

Ce double critère a sans cesse présidé à nos travaux. Il complète et rectifie le jugement de valeur basé seulement sur l’antiquité des textes. L’antiquité est de première importance mais ne suffit pas, prise isolément. La liturgie est un art traditionnel en évolution. Des prières postérieures peuvent être supérieures aux précédentes. Le mauvais goût est aussi nuisible à la liturgie qu’une fausse théologie. La liturgie est l’Épouse du Christ, immaculée par sa doctrine orthodoxe « la plus belle parmi les filles de Jérusalem »[2]. L’Esprit-Saint n’abandonne pas la vie de l’Église et à toutes les époques inspire les poètes, les saints, les conciles afin d’embellir et de préciser le culte chrétien[3].

Mais il est nécessaire, dans l’application de ces deux critères au canon eucharistique du rite des Gaules de procéder d’abord à une mise en ordre de l’abondance des matières, c’est-à-dire à la classification des variantes. Distinguons deux types de variantes, celles qui se rapportent au Propre et celles qui se rapportent à l’évolution historique.

Dans le Propre, nous avons deux sous-groupes : celui des prières mobiles et celui des prières de rechange. Les « mobiles » varient selon les fêtes et le temps, les « rechanges » sont proposées pour les mêmes circonstances au choix du célébrant.

Le tableau des parties stables et mobiles du canon eucharistique de l’ancien rite des Gaules est le suivant :

  1. Dialogue : stable.
  2. Préface : mobile.
  3. Sanctus : stable.
  4. Post-Sanctus : mobile.
  5. Paroles de l’institution : stables avec de légères modifications.
  6. Anamnèse : stable avec de légères modifications.
  7. Épiclèse : mobile.
  8. Post-épiclèse ou post-mysterium : mobile.
  9. Bénédiction des éléments : mobile.
  10. Doxologie finale : quelques variantes[4].

Cette extrême mobilité est un caractère spécifique des liturgies gallicane, mozarabe et celtique ; les autres rites sont moins mouvants. Le romain ne change que la préface et n’offre que quelques variantes dans les Paroles de l’institution

Le caractère changeant de l’anaphore ne doit pas déconcerter un esprit oriental, car le Propre de l’Orient est encore plus abondant que celui de l’Occident mais il se déploie dans l’office divin tandis que l’Occident, Rome inclus, l’exprime surtout dans la divine liturgie. Si le byzantin chante la grandeur de la fête en un Tropaire ou un kondakion, le gaulois et le romain la chanteront dans la préface. Nous en donnons un exemple, plus loin, au cours de l’analyse du canon. Le célèbre hymnographe Roman le Mélode aurait, en France, composé des préfaces à l’exemple d’un Venance Fortunat.

Cependant, même la stabilité du canon oriental est plus apparente que réelle. Ce fait apparaît dans la comparaison des canons selon saint Basile et saint Jean Chrysostome. Seuls le dialogue et le Sanctus sont identiques[5] et quelques phrases au sein du canon, corrigées ultérieurement. Byzance pour les messes (non pour l’office divin) n’a gardé que deux auteurs, l’Occident en a préservé un grand nombre. Si nous considérons les autres rites orientaux, syrien, arménien, copte, etc..., nous constatons qu’ils ont aussi plusieurs anaphores ; (ainsi, le syrien a les anaphores des Douze Apôtres, de saint Jacques, de saint Jean le bien-aimé etc...) ils subissent le même sort que le rite des Gaules, le minimum est stable (dialogue, Sanctus, quelques exclamations), le reste est changeant. Notons, cependant, une différence entre le mobile des Gaules et celui des rites orientaux : en général, le premier est lié à la fête le deuxième à l’auteur.,

Une précision s’impose. La mobilité du Propre peut être plus ou moins grande. Ainsi, Rome a une messe spéciale pour chaque dimanche, chaque jour de carême, la semaine de Pâques... mais non pas 365 messes pour l’année. Les jours de férié, elle se sert de la messe du dimanche et pour nombre de saints célèbre le Commun des saints. De plus, au cours de l’histoire, d’admirables préfaces sont tombées. (Voir les sacramentaires léonien et gélasien).

Le rite des Gaules, tout en étant plus riche que le rite romain actuel, n’a pas non plus un « Propre » quotidien.

La mobilité du Propre dans le canon doit être pieusement sauvegardée si l’on désire suivre l’esprit traditionnel et non entreprendre des réformes discutables. De même, pour maintenir l’ambiance liturgique traditionnelle, le rite doit s’enrichir perdurablement. Les nouvelles fêtes, les saints nouvellement canonisés, les fêtes et les saints qui n’avaient pas eu leurs poètes pour les chanter, réclament aussi leurs propres contestatio, post-Sanctus, post-mysterium. Tel est le développement normal des rites orientaux et occidentaux, qu’ils appartiennent à l’Église orthodoxe ou à l’Église de Rome.

Mais toute cette mobilité, cette abondance de textes dans les rites d’Occident et particulièrement des Gaules n’est rien auprès de la surabondance de la poésie dans le rite de Byzance. (Douze volumes contenant le Sanctoral de chaque jour de l’année, quatre couvrant le Temporal des 52 semaines)[6].

Chaque jour possède environ 75 à 80 strophes poétiques ; par exemple, la fête de l’Exaltation de la Croix : 75 strophes, l’Assomption ou Dormition de la Vierge : 79, les Quatre Docteurs de l’Église Russe : 86... Chaque dimanche à environ 160 strophes, le jeudi de la 5e semaine de Carême bat les records avec 412 strophes. L’idée même de la réforme d’un Agobart[7] ou celle des jansénistes du XVIIIe[8], dont le but était de supprimer toute poésie ecclésiastique « plebeios psalmum » en faveur des seuls textes de la Sainte Écriture, serait inconcevable en Orient. Le clergé, les moines, le peuple aiment les strophes et les connaissent souvent par cœur et ces réformateurs liturgistes seraient considérés comme des plaisantins ou des fous[9]. Ceci, d’autant plus, comme l’oratorien Louis Bouyer le dit si judicieusement dans un numéro de « Dieu vivant », que cette poésie est par sa force dogmatique et la qualité de son verbe, le sommet de la culture chrétienne[10].

Le deuxième sous-groupe dans le Propre est composé des prières « de rechange ». Une fête gallicane peut présenter plusieurs messes à notre choix. Cette prolixité provient de ce que les auteurs sacrés ne se lassaient pas d’écrire prière sur prière pour un saint préféré ou une fête que leur âme pieuse se plaisait à exalter. Un vieux missel occidental renferme à lui seul 9 messes de Noël, 14 de saint Laurent, 28 de saints Pierre et Paul, etc...

Jusqu’à notre époque, l’Église de Rome a gardé le principe « d’oraisons de rechange », laissant la liberté de choix au célébrant. En Orient, un chantre placé devant une trop grande quantité de Strophes au cours de l’office divin, suit spontanément ce principe de choix[11]. Principe romain, coutume orientale ne peuvent s’appliquer que dans des cadres relativement restreints car, imprimer à la file une vingtaine de « Propre » de canons eucharistiques serait, en vérité, coûteux, encombrant, et singulièrement troublant pour le prêtre ! Il nous semble donc que le double critère du Concile d’Afrique s’impose dans ce cas précis, nous invitant à choisir à l’avance et, dans ce choix, à tenir compte de la plénitude dogmatique ainsi que de la beauté du verbe.

En résumé, le « mobile » doit être sauvegardé, le « rechange » trié. La Tradition impose le mobile, le rechange est facultatif. Aucune des « neuf messes de Noël » n’a plus de droit que ses sœurs, chacune plaide pour elle par sa qualité intérieure.

En soi, le problème des variantes, est-ce le « mobile » ou est-ce le « rechange », ne fait pas partie directement de cette étude qui s’occupe de l’Ordinaire de la messe et non du Temporal ou du Sanctoral ; pourtant il nous intéresse par son rapport avec les passages stables de l’Ordinaire de la messe et son influence sur elle.

Les variantes qui se rattachent à l’évolution historique nous introduisent dans le vif du sujet. Elles proviennent de l’évolution intérieure du rite des Gaules, des coutumes provinciales et des rites étrangers. Il ne s’agit pas là d’une originalité du rite gallican : cette particularité se retrouve aussi bien dans la liturgie romaine que dans la byzantine[12]. Sans doute, l’Église de France n’a pas eu de grands réformateurs tels que Chrysostome de la Nouvelle Rome, Grégoire de l’ancienne Rome, ou Isidore de Tolède pour essayer de cristalliser le canon eucharistique – sans y parvenir totalement – ; elle a eu ses Cassien, ses Loup, ses Mamert, ses Sidoine Apollinaire, ses Césaire d’Arles, ses Nicétas de Trèves, ses Aurélien, ses Germain de Paris... mais aucun n’a prédominé. Ajoutons que la France ne connaissait pas un centre autour duquel tout gravite : Lyon, Arles, Tours, Vienne, Autun, Die étaient autant de centres liturgiques, à diverses époques. Ni Rome, ni Milan, ni Constantinople, ni Tolède ! Ce caractère gaulois a toujours persisté et renaît souvent d’une manière inattendue, donnant jusqu’à notre époque du « fil à retordre » aux successeurs de Pierre. L’absence de centralisation et de fixation n’empêcha pas cependant le rite des Gaules d’avoir son homogénéité, tout en tolérant la liberté dans les détails, et la négation de cette unité par les réformateurs carolingiens ne fut qu’un argument de bataille[13].

Disons et redisons que toutes ces variantes ne transforment en rien l’essentiel du canon eucharistique de l’ancien rite des Gaules dont la construction rigide et nette est parvenue jusqu’à nous, mais dans une liturgie célébrée et vécue la moindre virgule doit être soigneusement étudiée et fixée.

Notre travail a consisté à surmonter les variabilités historiques, locales ou d’importation dans un même texte afin d’atteindre à la stabilisation dans toutes les parties n’appartenant pas au Propre. Voici immédiatement un exemple – plusieurs seront fournis au cours de l’analyse du canon :

« Ceci est Mon Corps ».

« Ceci est Mon Corps rompu pour vous ».

« Ceci est Mon Corps rompu pour vous et un grand nombre ».

« Ceci est Mon Corps rompu pour vous en rémission des péchés ».

« Ceci est Mon Corps rompu pour vous et pour un grand nombre en rémission des pêchés ».

« Ceci est Mon Corps rompu pour vous en rémission des pêchés et la vie éternelle ».

« Ceci est Mon Corps rompu pour vous et pour un grand nombre en rémission des péchés et la vie éternelle ».

 

Parmi ces sept formules, laquelle doit-on adopter ? Toutes ont varié à travers le temps dans différents rites. Le rite romain qui influença quelques Églises gallicanes des VIIe et VIIIe siècles, donna la formule brève : « Ceci est Mon Corps ». D’autre part, l’antique formule romaine, si l’on en croît Dom Botte était : « Ceci est Mon Corps Qui sera rompu pour un grand nombre » ; la même formule avait cours à Milan, à l’époque d’Ambroise[14]. Milan, aux IVe et Ve siècles, patronnait l’Église des Gaules et par conséquent y laissa cette phrase. La Syrie, en contact intime avec les Gaules, transmettait parallèlement : « Ceci est Mon Corps rompu pour vous et un grand nombre en rémission des péchés » ...

Rappelons, en passant, que l’antique texte de Jean Chrysostome contenait seulement : « Ceci est Mon Corps rompu pour vous » ; « pour la rémission des péchés » s’est rattaché beaucoup plus tard, vers la fin du Xe siècle. Ces variantes sont neutres en elles-mêmes mais il était nécessaire de choisir et le double critère du Concile d’Afrique ne suffisait pas : ni la foi, ni le verbe n’étaient en cause.

Notre jugement s’est appuyé, alors, sur le triple principe du Concile de Vaison (529) : universel, provincial et local[15]. Il introduit, par exemple, le « Kyrie eleison » et ajoute à tous les « Gloria Patri... sicut in principio » pour être en accord avec le principe universel, disant : « telle est la coutume du siège apostolique, de l’Orient et de la Province italienne »[16]. Pour donner l’unité aux Églises de la province des Gaules, il ordonne de chanter à toutes les messes, même durant le Carême, le Trisagion et, enfin, il tolère les détails des coutumes locales, propres à certaines villes.

Dans les cas discutables, nous avons préféré l’universel au provincial et le provincial au local.

Si notre rite, en réalité, n’avait pas été arrêté par la réforme carolingienne, une des formules aurait imperceptiblement prévalu sur les autres et la découverte de l’imprimerie aurait achevé l’unification.

Ne nous imaginons pas que les formules simples précèdent toujours les compliquées. Brièveté ne veut pas dire antiquité. L’exemple : « Ceci est Mon Corps », montre, au contraire, que la brièveté suit parfois le compliqué[17].

Le discernement dans les textes de l’ancien rite des Gaules a exigé un labeur de dizaines d’années, basé sur l’enseignement des Conciles d’Afrique et de Vaison[18].

Dans nos études et nos choix de textes, nous avons voulu surtout prier, invoquer l’aide des grands Docteurs de l’Église comme saint Basile et saint Hilaire, ou le Patron de notre liturgie saint Germain, plutôt que de nous fier à notre seul jugement. Que ces gardiens invincibles de la tradition indiscutable soient nos défenseurs ! Notre œuvre n’est pas principalement d’ordre archéologique mais pastoral. Elle a en vue le salut des âmes qui réclament le pain supra-essentiel et non des pierres taillées par les orfèvres de la critique historique.

 

 


[1] Conc. Milev. Labb. t. II p. 1.540.

[2] Cantique des Cantiques VI, 9.

[3] Seul celui qui a pris contact avec les révolutions, les mouvements, les déviations, les renaissances et les décadences liturgiques à travers le temps et l’espace, pourra apprécier à sa valeur cette définition du Concile d’Afrique. En effet, la liturgie traditionnelle, autant que les dogmes de l’Église, reçoit de toutes parts les attaques et possède ses propres hérésies. Une vigilance permanente est indispensable aussi bien contre les fausses réformes que les « mauvaises habitudes » qui prennent le masque du traditionalisme. L’intellectualisme, le rationalisme, le purisme, le « biblicisme », le popularisme, le piétisme, le moralisme, le sentimentalisme, le modernisme, le snobisme archéologique ou ésotérique etc... sont toujours prêts à faire dévier le courant royal de la Tradition. L’analyse de ces tendances appelle d’urgence une étude dans la lumière des deux critères de ce Concile mais ces derniers, tout en nous préservant de cette multitude d’hérésies et en nous indiquant la route infaillible à suivre, exigent eux-mêmes des précisions. Le critère de la foi, proclamé par le Concile d’Afrique, a aussi ses pièges. Certes, en face des hérésies de toutes les époques, l’Église doit enseigner la vérité par le dogme et la liturgie – N. Oupensky (note 7) l’a magistralement exposé – mais la lutte contre l’hérésie du temps ne doit pas envahir le texte traditionnel. La liturgie qui ne refléterait qu’un aspect de la vérité serait hérétique, non par ce qu’elle affirme mais par ce qu’elle n’affirme pas. Le piège du critère de la beauté réside lui dans le fait que la beauté liturgique est autre chose que la beauté profane, mystique, personnelle etc... Ainsi, une messe basse romaine accompagnée en sourdine par la musique de Bach peut communiquer à l’âme un sublime élan de prière, sans être pour autant liturgique. Néanmoins, ces pièges sont subtils et 99 % des dangers proviennent d’une théologie boiteuse et d’une absence de goût.

[4] Ce ne serait pas commettre une faute envers la Tradition que de stabiliser le canon, excepté les trois oraisons : préface (contestatio), post-Sanctus et post-mysterium car la plupart des livres mérovingiens nous fournissent dans la majorité des cas ces trois oraisons, laissant le reste à l’Ordinaire. Dans la pratique, à l’instar du rite romain, les Paroles de l’institution ne changent que rarement ; l’anamnèse n’a que de légères retouches pour les grandes fêtes ou les périodes de l’année ; les nombreuses épiclèses, sauf pour les fêtes de la Pentecôte et de l’Épiphanie, ont plutôt un caractère de rechange ; la Bénédiction des éléments est liée aux éléments eux-mêmes, huile, blé, fruits etc...

Le problème assez complexe des post-mysterium sera étudié dans l’ANAMNÈSE.

[5] Soulignons cette identité entre le rite des Gaules et le byzantin : dans tous les deux, seuls le dialogue et le Sanctus sont stables.

[6] Les Douze volumes sont appelés : Mynée ; les Quatre volumes sont composés du : Triodion de Carême, du Triodion fleuri (périodes de Pâques et de Pentecôte) et des deux volumes de l’Octoïkon qui se rapportent au reste de l’année.

[7] Agobart naquit en Espagne vers 779. Il est élu patriarche de Lyon en 816, puis exilé. Sur la demande de son remplaçant Amalair, il réforme la liturgie. Il supprime la poésie ecclésiastique, mettant à sa place les textes scripturaires. Ainsi, a-t-il barré l’antique agraphe (texte à caractère biblique ne se trouvant pas dans la Bible) : l’Introït du XIXe dimanche après la Pentecôte, repris le Jeudi de la troisième semaine de Carême, et substitué un verset de psaume. Mille ans après, les Jansénistes font de même.

[8] On peut lire avec fruit les ouvrages pleins de verve et d’arbitraire de Dom Guéranger (Note 13).

[9] Les enfants, en Orient, connaissent par cœur les tropaires et les kondakions des grandes fêtes. Un tailleur grec de Clichy à qui je venais de commander un costume me chanta avec enthousiasme les stichères ou strophes de la Théophanie, déposant pour quelques minutes son mètre et ses ciseaux.

[10] Il serait avantageux d’épanouir les rites occidentaux, sans toucher à leur structure et leur sobriété personnelles, par la poésie de Byzance. Nos « Matines Pascales » (Librairie Œcuménique Sétor, Paris 1948) en sont un exemple.

[11] Les chœurs de l’Église d’Orient, hormis les monastères de stricte obédience « typiconique », ne chantent que deux ou quatre strophes sur les dix du Psaume lucernaire. En Serbie, les tropaires du canon matinal ne sont pas chantés en entier.

[12] Consulter : « La sainte messe selon l’ancien rite des Gaules Chap. II (Ed. orthodoxes Saint Irénée, Paris 1956).

[13] Le grand paradoxe est la fixation du rite romain. En effet, c’est le canon – dans le sens romain de ce mot – qui se cristallisa et s’imposa définitivement et, pourtant, ce groupe de prières est le plus discutable, le plus local, le moins universel ! Par contre, en dehors de ce groupe de prières, nul rite n’a subi autant de réformes.

Dom Guéranger, indigné de l’instabilité des missels et des bréviaires de France qui variaient selon les siècles et les diocèses, entreprit de tout ramener à de bons sentiments ultramontains. Ce retour obtint son succès, les vieux missels français furent supplantés par les romains mais... à notre époque, nous assistons de nouveau à nombre d’initiatives privées, demi-privées, de réformes, de modifications, d’améliorations. Chassée par la porte, l’originalité individualiste de la France rentre par la fenêtre.

[14] Voir les détails dans l’INSTITUTION.

[15] La hiérarchie de valeur dans laquelle le local doit céder la place à l’universel, s’il est en conflit avec lui ou tend à le prédominer, fut très souvent confessée par l’Église. Nous en trouvons la définition classique chez Vincent de Lérins, touchant les dogmes, chez Balsamon pour le Droit canon et chez saint Photius le Grand pour les coutumes liturgiques locales.

[16] Par cette phrase nous remarquons qu’au VIe siècle, ce n’est pas le siège apostolique (Rome) qui décide de l’universalisme mais la concorde entre Rome, l’Orient et l’Italie. Le critère de saint Vincent de Lérins est en pleine vigueur. En même temps, nous voyons que la « Province italienne » est distincte de Rome. Ceci prouve que le rite romain était à l’époque limitée à la ville Éternelle ; les thèses de Duchesne et de Bishop sont justifiées. Au VIe siècle, le rite romain est loin d’envahir l’Occident et ceci témoigne de la santé de l’Église de ce temps, car le rite romain, splendide en vérité, est intransportable, étant le rite d’un Pontife romain avec ses stations, ses saints, ses préoccupations propres.

[17] Un autre exemple est la formule lapidaire de saint Jean Chrysostome : « Et sur la Coupe, disant : ... » introduite par lui à la place de la formule traditionnelle et universelle : « Après le repas, prenant la coupe, Il rendit grâces, la bénit... etc. ».

[18] En effet, la liturgie gallicane fut célébrée la première fois, sous sa première rédaction dans l’Église orthodoxe, en 1875, par le Père W. Guettée et il faut attendre jusqu’en 1925 pour voir reprendre l’initiative de la restauration de la liturgie gallicane par la « Commission française » sous la présidence de l’archiprêtre Sakharoff avec la bénédiction du Métropolite Euloge. En 1929, elle est célébrée à nouveau dans une chapelle privée et, enfin, en 1944, elle est reprise publiquement, le jour de la fête de saint Irénée, dans l’église orthodoxe occidentale saint Irénée.