Extrait du cours de Maxime Kovalevsky à l'Institut Saint-Denys de 1966 revu et augmenté en 1982
1) LE MILIEU DANS LEQUEL ELLE NAÎT ET SE DÉVELOPPE
Avant d'aborder la "Liturgie des Gaules" proprement dite, suivons rapidement le cheminement du premier christianisme en Occident.
On connaît peu de chose sur les origines du christianisme en Gaule même. Ce pays est très peuplé. La majorité des habitants sont des Celtes, mais déjà avant la conquête romaine, viennent s'y ajouter des commerçants venus d'Italie, de Grèce et des pays du Proche-Orient. La Gaule a une réputation de pays de Cocagne; elle est riche, on y vit bien et les habitants y sont hospitaliers. C'est autant pour ces raisons que pour s'en faire un tampon entre eux et la Germanie que les Romains l'occupent. Les conquérants apportent avec eux la "pax romana", c'est à dire organisent un pays "civilisé" avec des routes, des théâtres, des temples (on n'est pas contraint de les fréquenter), une relative liberté et une paix effective. Dès l'occupation romaine, on voit s'accroître les colonies d'immigrés venus de tout l'Occident et même d'Asie et d'Afrique. De grandes cités internationales se développent alors, comme Lyon, Metz, Arles, Toulouse, Vienne, Laon, Lutèce, et une nouvelle forme de vie sociale y prend forme. Avant l'occupation romaine, l'esclavage n'existe presque pas en Gaule, mais dès cette occupation, les gaulois et les immigrés fortunés y introduisent le trafic des esclaves parmi lesquels se trouve un grand nombre de juifs, de grecs et de phéniciens dont beaucoup sont déjà chrétiens. A ces éléments s'ajoutent les chrétiens libres immigrés à la recherche d'une relative liberté et de la sécurité qu'ils trouvent en Gaule où les persécutions des chrétiens sont nettement moins fréquentes et moins sévères que dans le reste de l'Empire.
Dès le 1er siècle et surtout au 2ème, ces chrétiens s'organisent en collèges" : confréries funéraires officiellement enregistrées comme "ecclesia", voire "super-ecclesia". Bientôt se constituent de petites Églises, chacune très attachée à sa personnalité et à sa localisation géographique, et, bien que n'étant séparément qu'un petit groupe en pays étranger, très consciente d'appartenir à une force universelle. L'idée d'universalité du christianisme est déjà très vivante. L'Eglise est déjà un grand corps, même si son organisation institutionnelle n'est pas encore achevée. Dès le début, se développe ici et là la formation de ce qu'on appellera plus tard des "paroisses". Bien que la christianisation des campagnes soit lente, la structure ecclésiale proprement dite, avec diacre, prêtre, évêque, est déjà formée. Nous en avons des témoignages par exemple avec saint Irénée qui, au cours de ses inspections, circule dans une chrétienté organisée, même si celle-ci est encore clairsemée.
Ce qui va déterminer le caractère spécifique du christianisme en Gaule, c'est qu'il vient "de la base", dirions-nous aujourd'hui. C'est un mouvement démocratique : les l'évêque et les prêtres sont élus par les fidèles et se gouvernent en conciles locaux fréquents.
Mentionnons encore un point particulier dans l'histoire de l'Eglise en Gaule. Vers la fin du 3ème siècle, alors qu'allaient prendre fin les grandes persécutions officielles, se produit l'insurrection des Bagaudes : deux chefs, Achianus et Amadius, renversent le gouvernement romain corrompu et réussissent à établir en Gaule une république à régime de justice. Aussi bien les chefs que la majorité des insurgés sont des chrétiens. Cette flambée ne dure pas, elle ne peut résister à l'organisation militaire romaine. Les chefs sont capturés et exécutés. Ce qui est intéressant dans ces évènements, c'est que ces chrétiens, qui ne se révoltaient pas contre leurs persécuteurs (ils acceptaient leur martyre avec joie) se dressèrent contre l'injustice sociale dans laquelle étaient impliqués des chrétiens et non seulement des païens.
Les persécutions officielles contre les chrétiens deviennent progressivement moins systématiques, notamment sous le règne de Constant Clore, père de Constantin le Grand. Intelligent, humain, cultivé, ce César juge préférable, quand il est forcé par les Augustes à sévir contre les chrétiens, de détruire des monuments plutôt que des hommes. Entouré de philosophes et de prêtres, il est presque chrétien. C'est ainsi que l'entrée de la Gaule dans la période constantinienne se fait de façon progressive et pacifique, ce qui aura un retentissement certain sur l'histoire de son Église et de son rite.
Nous débouchons ainsi dans le 4ème siècle éclairé par de grandes figures, comme saint Hilaire de Poitiers, saint Césaire d'Arles, saint Jean Cassien et saint Martin, (ces deux derniers, créateurs du premier monachisme en Gaule). La vie de saint Martin illustre bien le mouvement de formation de l'Eglise "par la base". C'est le peuple qui - alors qu'il était encore moine - le séquestre en quelque sorte pour le contraindre, malgré sa résistance, à devenir l'évêque de Tours. Sa vie illustre également l'aveuglement des milieux officiels contemporains, choqués par l'extrême simplicité et le mépris de toute présentation extérieure de ce futur saint : hostiles à son égard durant sa vie, ils parviennent après sa mort, à faire pendant 50 ans un silence total sur lui. Toutefois la "vox populi" finit par le tirer de l'oubli et en faire le saint le plus populaire et le plus honoré de tout le Moyen-Age.
C'est dans un tel climat que naît et se développera la liturgie des Gaules.
2) LA LITURGIE SELON SAINT GERMAIN DE PARIS
La première thèse vraiment intéressante sur la "messe gallicane" date de la fin du 17ème siècle. C'est celle de l'oratorien Lebrun, chaud partisan du rite gallican, qui regrettait qu'il n'ait pas été maintenu en France. On connaît cette thèse sous le nom de "Dissertation du Père Lebrun"[29]. Par la suite d'autres savants ont complété ce travail de reconstitution, tels entre autres à la fin du 19ème s. le Père Guettée et Mgr Duchesne et enfin l'équipe citée dans le précédent chapitre. Commencés aux environs de 1936, les travaux de cette dernière ont abouti à la restauration du rite occidental connu maintenant sous le nom de "Liturgie selon saint Germain de Paris" ou "Liturgie selon l'ancien rite des Gaules", et qui est célébré dans une fraction de l'Eglise orthodoxe en Occident depuis bientôt un demi-siècle.
Mais déjà le Père Lebrun avait su montrer l'ancienneté du rite gallican, ses liens étroits avec les rites dit "d'Orient" qui, aux premiers temps étaient les rites universels de la chrétienté, ainsi que ses différences essentielles avec le rite de Rome. Citons-le : "On a enfin tout lieu de regarder l'ancien ordre de la messe gallicane comme venant des Églises d'Orient, par la conformité qu'on y trouve avec les liturgies orientales et parce que nos premiers évêques des Gaules ont été presque tous orientaux". Et à la fin de son analyse : "Ceux qui se donneront la peine de comparer l'ordre de cette liturgie avec celle des Constitutions apostoliques et les autres liturgies orientales, seront persuadés que cet ordre gallican ne vient pas de l'ordre romain mais de l'ordre des Églises d'Orient qui avaient tant de rapports avec nos Églises dès le second siècle, que nous ne connaissons les martyrs de Lyon et de Vienne que par la lettre que ceux-ci avait écrite en Orient, comme il a déjà été « remarqué dans le premier article de cette dissertation ».
Grâce aux documents que le Père Lebrun avait su retrouver, il avait ébauché une reconstitution de ce rite qui avait une originalité propre : "Ce petit traité de saint Germain nous apprend plusieurs particularités de la messe gallicane qu'on ignorait et qui nous donne lieu de regarder plus attentivement ce que nous en connaissons".
Ajoutons ces lignes de Mgr Duchesne qui écrit en 1909 : "L'usage gallican ayant à peu près disparu, il serait difficile de se faire de visu une idée de ce qu'étaient autrefois les cérémonies de la messe solennelle dans les églises de ce rite. Heureusement saint Germain de Paris (+ 576) nous en a laissé une description assez précise et bien plus ancienne que les ordinae romaines. Je me bornerai donc à suivre ce vénérable auteur, en reproduisant son texte et en le confrontant avec les autres documents de l'usage gallican, c'est à dire les livres mozarabiques, les livres liturgiques de la Gaule mérovingienne, de la Bretagne et de l'Italie du Nord".
Il serait intéressant d'étudier les différences entre le cycle annuel des offices du rite gallican et celui des offices de rite romain, mais ce ne sera pas là notre propos[30]. L'objet de notre étude sera de parcourir la messe gallicane en suivant les recherches du Père Lebrun - sans entrer dans le détail qu'on trouvera dans sa "Dissertation". Parallèlement les restaurations vécues aujourd'hui dans l'Eglise Orthodoxe de France y apparaîtront en filigrane. Nous ne nous attarderons que sur certaines rubriques essentielles.
PRAELEGENDUM
A l'entrée du clergé, pendant le premier salut du célébrant, est chantée une antienne variable que saint Germain nomme "de praelegere", le praelegendum (avant lectures) qui correspond à l'introït romain actuel, mais non à celui de l'ancien rite de Rome.
TRISAGION
Suit l'Invocation à la Trinité au chant solennel du Trisagion d'importation byzantine. Alors que ce chant n'était encore en usage qu'aux "messes publiques", le 2ème concile de Vaison (529) ordonna de le chanter à toutes les messes indistinctement. Au temps de saint Germain il était chanté en grec ("Agios ô Theos") puis repris dans la langue populaire qui était le latin ("Sanctus Deus"). L'Eglise Orthodoxe de France a conservé les deux premières invocations dans leurs langues traditionnelles de l'époque, traduisant la troisième dans la langue actuelle ("Saint Dieu, Saint Fort, Saint Immortel, aie pitié de nous").
KYRIE
"Trois enfants de chœur" chantent ensuite un triple Kyrie, introduit à l'imitation des usages orientaux. Saint Germain précise : "C'est fait selon la pratique de Rome, de l'Orient et de toute l'Italie", ce qui signifie : le vieux rite de Rome, les rites orientaux et le rite de la Gaule transalpine et cisalpine qui alors ne formait qu'un seul et même pays.
BENEDICTUS
Puis vient ce que saint Grégoire de Tours appelle "la prophétie", dont saint Germain précise qu'elle était chantée "à voix alternées" et qui est la prophétie de Zacharie, le Benedictus "...et Toi, petit Enfant, Tu seras appelé prophète du Très-Haut, car Tu marcheras devant sa face pour Lui préparer les voies". Exceptionnellement le Benedictus était remplacé par le Gloria que les saint Césaire et Aurélien d'Arles disent devoir être chanté aux Laudes (selon saint Grégoire, c'est après l'oblation qu'il était chanté). Les documents précis manquent à ce sujet.
LECTURES
La première partie de la liturgie, la "liturgie des catéchumènes", "sacrement de la Parole" où se fait l'enseignement, est consacrée aux lectures. L'usage de Constantinople au temps de saint Jean Chrysostome était ici "la triple Leçon, prophétique, apostolique et évangélique". La première lecture était tirée de l'Ancien Testament, la deuxième des Épîtres des apôtres (remplacée en temps pascal par les Actes des apôtres ou, ce qui est spécifique du rite gallican, par un extrait de l'Apocalypse). La troisième lecture était l'Évangile.
Influencés par le rite romain d'avant Vatican II et par le rite byzantin, les restaurateurs de la liturgie des Gaules avaient réduit les lectures au nombre de deux : Epître et Évangile seuls. Toutefois par souci de fidélité, l'Église Orthodoxe de France est revenue aujourd'hui aux trois lectures qui sont indispensables pour illustrer la continuité entre l'Ancien et le Nouveau Testament. Toute la structure de la liturgie - et en particulier de la liturgie gallicane est en effet commandée par cette notion de continuité historique de la louange divine, reconnue dans les prophétie de l'Ancien Testament puis dans leur accomplissement vécu dans le Nouveau. Si une messe était consacrée à un saint, la première lecture pouvait être remplacée par le récit de la vie de ce saint ou par une de ses homélies C'est pourquoi, par exemple dans le Lectionnaire de Luxeuil, à certains jours consacrés aux saints, aucune première lecture n'est indiquée.
BENEDICITE
Après les deux premières Leçons était chantée la bénédiction "des trois jeunes gens dans la fournaise", hymne appelé Benedicite (ce mot revient en refrain) dont saint Germain recommande le chant alterné par toute l'assemblée. Cet hymne relate un miracle, préfiguration de la Vierge qui en elle a contenu le feu divin et n'en a pas été consumée. C'est un chant caractéristique de la messe gallicane dont il est un élément fixe important. Il n'est plus chanté dans le rite romain que le Vendredi Saint, et dans le rite oriental, plus que dans la série des prophéties lues aux veilles de Noël, de Pâques et de la Théophanie. L'Église Catholique Orthodoxe de France en a restauré l'usage aux liturgies des dimanches et des fêtes.
ÉVANGILE
L'Évangile est préparé avec grande solennité. Dès l'annonce du diacre, précise saint Germain, un diacre ou le clergé chante un triple Agios tiré de l'Apocalypse : "Agios, Sanctus, Saint le Seigneur Dieu Tout-Puissant, qui était, qui est, qui vient !". Cette proclamation se retrouve dans presque toutes les messes de type gallican. Il faut remarquer que l'ensemble de structure des diverses messes de ce type était très homogène malgré d'inévitables variations dans le temps et l'espace.
La procession de l'Évangéliaire se formait avec des acolytes porteurs soit de 7 chandeliers (les 7 dons du Saint-Esprit) soit de 5 chandeliers (les 5 plaies du Christ). Il était bien précisé que l'Évangile devait être "chanté" par le diacre, encadré par des acclamations de l'assemblée à la gloire de Dieu et clôt par le même Agios de l'Apocalypse, mais développé.
HOMÉLIE
"L'usage de l'homélie qui suit l'Évangile se conserva mieux en Gaule qu'à Rome" où elle était réservée à l'évêque et où les prêtres qui prêchaient étaient même blâmés. De la Gaule il nous reste d'admirables prédications "qui ont les qualités de clarté et de simplicité que saint Germain réclame", comme par exemple celles de saint Césaire d'Arles.
LITANIE DIACONALE
"La prière des fidèles commence par une litanie diaconale. Il suffit de comparer cette litanie (encore en usage à Milan toute semblable à celle donnée par le missel irlandais de Stowe) à celle que l'on trouve dans les liturgies d'Orient depuis celle des Constitutions apostoliques, pour se convaincre qu'elle est absolument du même type, on peut même aller plus loin et établir que nous n'avons ici qu'une traduction d'un texte grec. Il y a moins de différence entre cette litanie et les litanies grecques des liturgies de saint Jacques, de saint Jean Chrysostome, etc. qu'il n'y en a entre ces dernières et celles des Constitutions apostoliques".
Selon les ordonnances des conciles, les catéchumènes pouvaient rester dans l'église pendant cette litanie, mais aussitôt après ils étaient "renvoyés". Saint Grégoire de Tours ne fait pas mention du renvoi des catéchumènes, mais il précise qu'on faisait sortir ceux qui n'étaient pas admis à la communion. L'évêque Nizier disait après que les Dons aient été offerts sur l'autel : "On n'achèvera pas ici aujourd'hui le sacrifice de la messe à moins que ne sortent ceux qui sont privés de la communion". Cette admonestation a été remplacée par l'appel du diacre : "Que ceux qui ne communient pas fassent place !". Bien que le renvoi effectif des catéchumènes et des curieux soit tombé en désuétude, un tel usage témoigne de justesse : on ne peut assister au sacrement eucharistique en spectateur mais en participant. La 1ère partie de la liturgie se termine par l'appel aux acolytes-portiers : "Les portes ! Fermez les portes !".
Dans les différents rites (byzantin, hispanique et gallican entre autres) la liturgie des catéchumènes présente une certaine diversité, par exemple dans la disposition des lectures, mais sur le plan spirituel ces différences n'ont pas d'importance. Nous nous attarderons davantage sur les points essentiels de la liturgie des fidèles, le "sacrement eucharistique", parce que c'est là que se manifeste la particularité théologique du rite des Gaules, notamment dans le point culminant de la célébration qu'est le Canon Eucharistique.
La Liturgie des fidèles est annoncée par le diacre qui demande le silence, le silence intérieur : il ne s'agit pas seulement du silence pour l'oreille. De même la fermeture des portes symbolise celle de notre être aux pensées extérieures.
PROCESSION DES DONS
Dans le rite de Rome il n'existe nulle trace, même à l'état embryonnaire, de la procession des Saints Dons, mémorial de l'entrée du Christ à Jérusalem, qui se retrouve dans toute les liturgies du Proche-Orient de cette époque en même temps que dans le rite gallican : l'oblation préparée d'avance avec des prières et des rites dont les missels mozarabes et irlandais donnent les textes, est transportée solennellement sur l'autel pendant que le chœur fait entendre le chant de Grande Entrée ("l'Hymne des Chérubins" du rite oriental) dont le texte le plus connu est celui de saint Basile, adopté dans la restauration du rite des Gaules : "Que toute chair humaine fasse silence et se tienne dans la crainte et le tremblement. Qu'elle éloigne toute pensée terrestre, car le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs s'avance, afin d'être immolé et se donner en nourriture aux fidèles...". D'après les documents de l'époque, notamment les écrits de saint Germain, ce chant - qu'il appelle "sonus" - était repris par tous, mais d'autres le prescrivaient chanté avec douceur par le chœur seul.
PRIÈRE DU VOILE
La prière du voile (que le célébrant agite doucement au-dessus des Dons) n'est pas mentionnée par saint Germain mais figure dans d'autres liturgies gallicanes, analogue sans doute à la "secrète" de la liturgie romaine.
DIPTYQUES
Un point qui distingue le rite des Gaules de tous les autres, c'est la commémoration des vivants et des morts aussitôt après la Grande Entrée. "Dès les premiers siècles du christianisme, les fidèles inscrivaient sur des tablettes les noms des martyrs, des confesseurs, des protecteurs et des bienfaiteurs de l'Eglise, et plaçaient ces diptyques sur l'autel". (Dans le rite restauré chaque fidèle apporte au diacre un feuillet double sur lequel il a inscrit les noms de ceux pour lesquels il demande des prières). En Orient, c'est après la sanctification des Dons qu'étaient lus les diptyques, et à Rome à l'intérieur même du Canon eucharistique - ce qui en détruisait l'unité -. Ces différences ont une signification spirituelle, mais ce n'est pas ici le lieu de développer références et comparaisons qui se trouvent "in extenso"'dans l'ouvrage de Mgr Jean Kovalevsky "Le Canon eucharistique selon l'ancien rite des Gaules". Il y a là comme dans les autres parties de la messe, des variantes parmi les différents rites gallicans en ce qui concerne l'ordre de la messe.
BAISER DE PAIX
Après les diptyques, à l'invitation du diacre et au chant "Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix...", les fidèles se transmettent l'accolade, le baiser de paix, témoignage de réconciliation indispensable pour donner sa pleine valeur au mystère de la communion.
CANON EUCHARISTIQUE
Le Canon eucharistique, grande prière centrale appelée aussi ANAPHORE (oblation, offrande), est introduit par le DIALOGUE entre le célébrant qui invite l'assistance à participer au sacrifice, et les fidèles qui le délèguent pour l'accomplir en leur nom. Dans le cours de la liturgie, tout acte sacré comme une prière, une bénédiction ou la lecture de l'Évangile, est précédé par un tel dialogue plus ou moins développé. Le célébrant salue l'assemblée : "Le Seigneur soit avec vous" et tous lui répondent : "et avec ton esprit" pour manifester leur unité en esprit avec lui.
Après l'exposé tous témoignent le plus souvent de leur plein accord en disant à voix forte : "Amen". C'est là la forme la plus élémentaire du dialogue. Mais celui du Canon eucharistique est développé. Il commence, tant dans l'Eglise d'Orient que dans celle des Gaules (mais non à Rome) par la salutation de saint Paul : "Que la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ, l'amour de Dieu le Père et la communion du Saint-Esprit soient toujours avec vous !" et tous répondent : "Et avec ton esprit". Le célébrant continue : "Élevons nos cœurs !" et tous : "Nous les avons vers le Seigneur", formule très ancienne qui témoigne que nous sommes déjà dans l'écoute intérieure, prêts à recevoir le sacrement de la Parole qui prépare au sacrement par les Espèces. Malheureusement pour être correcte, la traduction moderne n'a pu conserver telle quelle cette terminologie et a remplacé "nous les avons" par "nous les élevons", ce qui modifie le sens car "élevons" implique mouvement, alors que par "avons", tous confirment que le mouvement est déjà accompli.
Ce dialogue est très concis dans le rite des Gaules comme également dans celui de saint Jean Chrysostome, mais beaucoup plus complexe dans d'autres liturgies comme celle de saint Jacques ou celle de saint Marc. On a pu s'étonner, alors que dans ces dernières, la salutation du début du Canon suit en général l'ordre logique Père - Fils - Saint-Esprit ("Que l'amour de Dieu le Père, la grâce du Fils Unique et la communion du Saint-Esprit..."), que par contre dans les liturgies gallicanes et byzantines, l'ordre proposé par saint Paul - qui mentionne le Fils avant le Père soit respecté. Cet ordre n'est pas fortuit : il s'agit ici de la préparation à la communion au Fils grâce à laquelle on acquiert l'amour du Père et la communion avec l'Esprit. Cet ordre apporte une richesse évidente.
Une autre remarque intéressante à propos de la faiblesse de notre langue. Quand le prêtre dit ensuite : "Rendons grâces au Seigneur notre Dieu", nous ne retrouvons pas dans cette phrase le mot-clé "eucharistie" qui existe dans "ephkariste" grec que, faute de mieux, nous traduisons faiblement par "rendons grâces". Citons Mgr Jean Kovalevsky :
"Alors le mot-clé est prononcé : eucharistie. Il pénètre dans les profondeurs liturgiques. L'eucharistie est le battement du chœur aimant de la création par son créateur. En elle la vie de l'univers trouve son sens, sa raison d'être : louer, bénir, glorifier, chanter, rendre grâces à Celui qui le tira du néant, le coordonna par sa sagesse, lui communiqua sa vie. Nul moment n'est plus propice que l'ouverture du Canon pour prononcer ce mot. Ainsi quand nous écoutons "rendons grâces au Seigneur notre Dieu", à ce moment de la liturgie entendons le mot "eucharistie", et c'est en pleine conscience que nous répondrons : "Cela est digne et juste", approuvant solennellement le célébrant de glorifier l'Ineffable".
Citons-le encore à propos de cette réponse :
"Elle est le sceau sacré du dialogue eucharistique, et confesse le dogme de la synergie des deux volontés : celle de Dieu et celle de l'homme. Remarquons qu'elle ne dit pas que cela est notre devoir, que c'est notre obligation de louer Dieu. Elle laisse au peuple élu, à la race nouvelle, la charge de juger, la liberté d'apprécier. Le peuple anticipe sa déification. Dieu se dresse parmi les dieux, comme dit le psalmiste". La réponse du peuple "Cela est digne et juste"*est un amen amplifié, correspondant à la plénitude de l'appel : "ephkariste".
Le célébrant chante ensuite un discours de contenu variable, commémorant les bienfaits de Dieu dont il "témoigne", d'où son titre gallican de même racine latine : "contestatio" (appelé encore IMMOLATIO), qui amène au Sanctus. Ouvrons une parenthèse : Si, dans le rite romain, l'Immolatio a pris le nom de "Préface" encore en usage de nos jours, c'est parce que vers le 9ème siècle l'Eglise romaine a décidé de ne faire commencer le Canon qu'après le Sanctus. Ainsi l'Immolatio qui amenait au Sanctus s'est trouvé en dehors du Canon dont il devenait un préambule, une "préface". Mais pour les Pères de l'Eglise des Gaules, le Canon représentait une unité plus vaste qui commençait déjà par le dialogue d'introduction. Fermons la parenthèse.
Citons Dom Leclerq : "La Préface fait partie du canon de la messe. La pratique la plus ancienne ne laisse aucun doute sur ce point, et cette prière d'une originalité si neuve dans le dessin liturgique du sacrifice, qui passe du dialogue au monologue pour s'achever dans une acclamation commune, se laisse reconnaître nettement dès le seuil du 3ème siècle".
Dans tous les rites, l'Immolatio est formée de trois parties : la première loue le Père en dévoilant ses Noms dans une vision respectueuse qui en exprime l'inconnaissable sans toutefois le nier, grâce à une formulation apophatique caractéristique des rites gallican, hispanique et celtique, affirmant ce que Dieu n'est pas, plutôt que ce qu'Il est : "Ineffable, indescriptible, invisible et immuable..."
Mgr Alexis van den Mensbrugghe avait trouvé une bonne formulation en place du mot Préface : "Invocation du Nom".
La seconde partie énumère les bienfaits de Dieu selon des formulations variables, et la troisième amène à l'évocation du monde angélique qui loue Dieu. Saint Grégoire de Tours écrit : "Le peuple criait : Sanctus ! Sanctus ! Sanctus !". Comme le chant triomphal qu'elle introduit, l'Immolatio est chantée à voix forte et solennellement : elle est une affirmation théologique, un développement du Credo.
Dans l'Immolatio, entre les liturgies orientales et les trois familles jumelles que sont les liturgies gallicane, ambrosienne et celtique, se dessine une différence qui appelle une remarque. En Orient, le texte qui commence par : "Il est vraiment digne et juste..." et amène progressivement vers la louange angélique du Sanctus, est immuable. Chacune des deux liturgies du rite byzantin, celle de saint Basile et celle de saint Jean Chrysostome, possède sa propre Immolatio unique, alors que dans les rites occidentaux, elle est variable selon le saint ou l'événement que l'on célèbre. De là vient une des différences entre les rites orientaux et occidentaux de l'Eglise indivise. La coexistence des deux formes s'explique par le fait que dans l'Eglise d'Orient, l'inspiration poétique des Pères, leur goût de création de nouveaux textes pouvait s'appliquer à la structure de l'Office divin, aux stichères, aux tropaires et aux hymnes des Heures, mais non à la liturgie eucharistique dont le Canon demeurait fixe. Par contre en Occident, tout le merveilleux développement de la littérature patristique s'inscrivait dans les grandes prières variables telles que l'Immolatio ou le Post-Sanctus. Cette différence de principe s'explique aussi sur le plan philologique : les textes liturgiques grecs étaient traduits en prose latine, et c'est cette prose "baptisée" qui, en Occident, a donné naissance aux plus belles prières. Tout ce qui était en vers y apparaissait toujours comme une littérature de second ordre parce qu'influencée par une poésie latine décadente. En Occident l'Eglise a toujours été réservée vis-à-vis des parties variables composées en vers par les Pères[31].
Le Sanctus est commun à tous les rites, même à ceux chez qui le chant n'est pas écrit dans les livres, sans doute parce qu'il était jugé inutile de noter un texte que tous connaissaient par cœur. En règle générale pour l'étude des liturgies de cette époque, il faut observer que le plus souvent, seuls les textes variables étaient écrits. Dans l'ensemble, la partie fixe des offices était connue par cœur par le clergé autant que par les fidèles conscients, et comme le parchemin était coûteux et long le travail des scribes, ils n'inscrivaient que les parties variables des grandes prières.
La première partie du Sanctus est tirée d'Isaïe et adoptée par tous les rites sans exception. Toutefois certains savants liturgistes ont trouvé des traces de l'utilisation, aux premiers siècles, d'une autre forme de Sanctus tirée de l'Apocalypse. Alors que le texte d'Isaïe dit : "Saint ! Saint ! Saint le Seigneur Dieu Sabaoth ! La terre est remplie de ta gloire. Hosanna au plus haut des cieux !" celui de Jean dit : "Saint ! Saint ! Saint le Seigneur Dieu Sabaoth, Celui qui était, qui est, qui vient !". Isidore de Séville signale que ces deux Sanctus étaient parfois chantés successivement. Dans le rite des Gaules restauré, le texte d'Isaïe est chanté pendant le Canon eucharistique, et nous l'avons vu - celui de saint Jean, de caractère néotestamentaire, est chanté avant et après l'Évangile.
La première partie du Sanctus témoigne de l'Ancien Testament, et il faut remarquer que le texte d'Isaïe dit : "La terre" est remplie de ta gloire, et non "les cieux et la terre" sont remplis... C'est l'Eglise qui a ajouté "les cieux". Il est évident que le terme hébreu que nous traduisons par "terre" évoque le cosmos, monde matériel et spirituel unis. "L'univers est rempli de ta gloire" devrait-on lire. Le christianisme a voulu marquer avec plus de précision que, de même que le monde matériel, le monde spirituel est créé par Dieu et non préexistant à Lui.
La deuxième partie du Sanctus bascule du domaine du Père dans celui du Fils. On passe de l'Ancien Testament au Nouveau Testament : "Béni soit Celui qui vient au Nom du Seigneur !". Cette citation de Matthieu qui suit immédiatement celle d'Isaïe rappelle l'acclamation de la foule à l'entrée du Christ dans Jérusalem : elle évoque l'Incarnation du Fils après qu'aient été évoqués les bienfaits du Père. Pour rappeler la formule biblique, le Sanctus se termine par l'acclamation : "Hosanna au plus haut des cieux !".
Puis le Canon eucharistique continue sous forme de POST-SANCTUS où, de façon plus ou moins développée, sont évoquées la vie et l'œuvre du Christ : on est passé de la création à la rédemption. Le texte de saint Basile est très long, celui de saint Jean Chrysostome très court. Dans les rites gallicans est généralement assez court, comme par exemple celui qui a été choisi pour être dit en semaine dans le rite restauré : "Vraiment saint, vraiment béni est ton unique engendré, Verbe créateur et Dieu de majesté, qui est descendu des cieux, a pris la forme d'esclave, acceptant de plein gré de souffrir pour libérer son œuvre et la reformer à l'image de sa gloire, Lui notre, Sauveur Jésus-Christ", auquel s'enchaînent immédiatement le récit de l'Institution : "Qui la veille de sa passion...". Le terme "Post-Sanctus" est spécifique des liturgies gallicane, mozarabe, milanaise et celtique. Dans le rite oriental cette prière ne porte pas de nom.
Le rite romain tel qu'il a été imposé dans tout le monde occidental au temps de Charlemagne fait exception. Le Post-Sanctus y est remplacé par une prière d'intercession sans lien direct avec le récit évangélique, ce qui rompt la merveilleuse logique du discours.
Dans les rites les plus anciens, les paroles du Christ instituant l'Eucharistie (INSTITUTION) ne ressortaient pas autant du contexte que dans les rites actuels, plus évolués. Au début ce n'était qu'un discours inscrit dans l'ensemble du récit du dernier repas du Christ. Visiblement à cette époque on n'avait pas tendance à croire à la force presque (ou résolument) "magique" de ces paroles. C'est tout l'ensemble de la prière, jusqu'à l'ÉPICLÈSE, sommet qui amenait à la transformation du pain et du vin en Corps et Sang du Christ. Cette conception est demeurée très ferme dans les rites orientaux comme elle l'était dans le rite des Gaules où, de même qu'aux temps patristiques, on ignore le terme philosophique de "transsubstantiation" introduit au 13ème siècle dans l'Eglise de Rome[32].
Sur ce point, très tôt, la doctrine non seulement de l'Orient mais aussi de l'Occident se différencie de celle que traduit le rite de la ville de Rome avant que ce dernier ne couvre tout l'Occident. Selon le rite romain, ce sont les paroles du Christ que prononcent le prêtre qui, à elles seules, ont le pouvoir d'accomplir le sacrement. Or nombre de textes hispaniques et gallicans nous indiquent que ce n'est ni pendant ni par les paroles de l'Institution que s'opère la transformation du pain et du vin en Corps et en Sang du Christ mais au cours de l'ensemble des prières qui les précèdent et les suivent. Saint Isidore de Séville dit aussi que la transformation ne s'opère qu'après les paroles de l'Institution, comme en témoigne un texte de prière d'épiclèse parmi d'autres : "...nous Te supplions de bénir, sanctifier et faire légitime notre eucharistie (...) en la transformant en Corps et en Sang de notre Seigneur Jésus-Christ, ton Unique engendré...". Et Mgr Jean dit : "L'acte est accompli une fois pour toujours. Il se manifeste chaque fois que le prêtre célèbre l'Eucharistie, étant l'icône du Prêtre unique, notre Seigneur". Ainsi pour la conscience orthodoxe, les paroles elles-mêmes ont une force de commandement mais, sans la prière qui doit les soutenir, les réaliser, elles sont insuffisantes. Cabasilas (14ème s.) s'en explique longuement. La complexité des discussions théologiques qui se sont élevées à ce sujet entre Orient et Occident est telle qu'il n'est pas possible de l'exposer ici de manière exhaustive. Disons toutefois que la vision orthodoxe, tant dans les rites d'Orient que dans les anciens rites occidentaux - sauf celui de Rome - considère que les paroles du Christ prononcées par le prêtre, sont un mémorial (Anamnèse) et un commandement. Par exemple, dans le rite celtique, elles sont prononcées par le diacre qui n'en fait qu'un rappel historique. Dire : "Faites ceci en mémoire de Moi" n'est pas suffisant : il faut le "faire". Il faut que soit fait l'effort spirituel d'appeler la descente du Saint-Esprit. Récemment, après Vatican II, l'Eglise de Rome a introduit une prière d'épiclèse qui demande la venue de l'Esprit, mais en la plaçant avant les paroles de l'Institution afin de ne pas avoir à modifier sa doctrine. C'est néanmoins un pas vers une unité de doctrine, un retour à l'idée de transformation des Dons par l'action de l'Esprit-Saint.
Dans le rite des Gaules restauré, voici la prière d'invocation au Saint-Esprit que dit le prêtre tandis que le chœur en chante doucement la première phrase pendant que le peuple prie dans l'écoute et le silence : "Nous Te prions, Seigneur, et supplions ta majesté, que montent nos humbles prières vers Toi, Dieu très clément" et le célébrant continue à voix haute : "...et que descende sur nous, sur ce pain et sur cette coupe la plénitude de ta divinité comme elle descendait autrefois sur les offrandes de nos pères, afin que ce sacrifice devienne vraiment le Corps (Amen !) et le Sang (Amen !) de ton Fils notre Seigneur Jésus-Christ, par la puissance insaisissable et infinie de ton Saint-Esprit".
Et tous confirment "Amen ! Amen ! Amen ! "
Pour la restauration du rite, cette formulation a été choisie parmi d'autres qu'on peut trouver dans les livres "gallicans", car elle correspond le mieux à celles des anaphores de saint Jacques, de saint Basile et de saint Jean Chrysostome. Il faut comprendre que l'Eglise, tout en étant très ferme sur le contenu de ces prières, tolère consciemment des nuances de formulation. Elle veut, par là, éviter la pétrification, en certitudes formelles, d'affirmations qui ne sont que des théologoumènes (opinions théologiques), pétrification qui conduit inéluctablement à des schismes et à des hérésies.
NOTRE PÈRE
Le Notre Père était récité non seulement par le célébrant, mais par tout le peuple. Avant la doxologie finale, il était suivi d'une courte prière du prêtre, variable dans ses termes, demandant à Dieu la délivrance de tous les maux.
FRACTION DU PAIN ET IMMIXTION
Le pain devenu Corps est rompu puis, dans le calice, mélangé au vin devenu Sang : "Dans les temps anciens les saints Pères tenaient la fraction et l'immixtion du Corps du Seigneur pour de très grands mystères". (Saint Grégoire de Tours). Le célébrant élève alors les Dons par trois fois en proclamant : "Le Lion de la tribu de Juda est vainqueur, alléluia !" et tous confirment à chaque fois : "Celui qui est assis sur les Chérubins est vainqueur, alléluia ! Alléluia !"
BÉNÉDICTION
Curieusement, la bénédiction solennelle qui, dans le rite gallican précède la communion et n'a jamais existé dans le vieux rite romain, a subsisté dans certains diocèses français. Citons Lebrun : "Ici les prêtres donnaient la bénédiction solennelle à l'assemblée, de la manière qu'ils la donne encore aujourd'hui à Auxerre, à Sens, à Paris, et comme ils la donnaient il y a 150 ans dans toutes celles dont j'ai vu les pontificaux. Saint Germain nous apprend que, de tout temps, les prêtres la donnaient aussi mais avec une formule beaucoup plus courte". Elle a donné lieu à un grand nombre de formules. Le diacre avertissait les fidèles d'avoir à incliner la tête "pour recevoir la bénédiction" et, après le salut ordinaire, le prêtre prononçait une bénédiction en plusieurs formules à laquelle tous répondaient : "Amen !".
COMMUNION et ACTION DE GRÂCES
Pendant la communion, on exécutait un chant que saint Germain appelle "tricanum" (le Tricanon) qui lui parait être une expression du dogme de la Trinité.
La fin de la liturgie est à peu près identique dans tous les rites. La communion achevée, le célébrant invite l'assemblée à remercier Dieu, puis il prononce lui-même la prière d'action de grâces.