Homélie du 11 novembre – Saint Martin

 

Év : Mt 25, 1-13

 

Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit !

Amen !

Je m’arrêterai, aujourd’hui, au miracle de l’eucharistie de saint Martin. On connaît l’acte de charité qu’il accomplit, étant encore catéchumène et officier romain, lorsqu’il partagea son manteau en deux pour couvrir un pauvre, mais le miracle de l’eucharistie n’est guère raconté. Pourtant, il est significatif : durant une eucharistie - il célébrait à Tours - , après avoir prononcé les paroles du Christ : "ceci est Mon Corps et ceci est Mon Sang", il se mit à invoquer le Saint-Esprit - ce passage de la messe est appelé "épiclèse" - et voici, une boule de feu descendit sur sa tête, le pénétra et sortit de sa main bénissante pour transformer les dons. Ce miracle, la descente du Saint-Esprit sous forme de feu pendant l’Eucharistie, n’est pas propre à saint Martin. Dans le livre que mon frère vient d’écrire sur saint Serge, vous pourrez lire exactement le même miracle.

Mais ce phénomène du feu, toujours invisiblement présent sur l’autel, se manifestant parfois au regard des témoins, nous donne un enseignement sur l’appel que l’on doit adresser, pendant l’eucharistie, au Saint-Esprit. Sans appel de l’Esprit-Saint, point d’épiclèse authentique. Cet enseignement se rapporte aussi à notre vie, à celle du peuple de France, à l’Église elle-même. C’est celui du Feu Sacré que le Christ a tant désiré voir descendre sur terre. Souvenez-vous, l’apôtre Pierre demande à Notre Seigneur : "Maître, combien de fois dois-je pardonner ?". Le Christ lui répond : "Septante fois sept fois", c’est-à-dire sans limites. Puis, comme s’Il était blessé par ce désir de l’Apôtre de savoir combien de fois il faut pardonner ou ne pas pardonner, comme si la question de Pierre Le choquait profondément et Lui déplaisait en une certaine manière, comme s’il lui répondait : "Oui, Je te réponds, pardonne", Il ajoute dans une exclamation : "Combien Je voudrais que le feu descende sur terre et l’embrase !"

Cette opposition entre la phrase de Pierre et le cri de l’âme de Notre Seigneur, Son désir ardent de voir le Feu descendre sur terre - ce qui arrivera le jour de Pentecôte - , cette nostalgie de l’Esprit-Saint, Feu, Flamme, ce contraste, cette rencontre, ce dialogue entre le disciple et le Christ, nous ouvre une partie de la pensée divine.

Qu’est-ce qui, dans Pierre, déplaît au Christ ? Pierre est bon, son esprit est large, il veut sincèrement pardonner, mais que cherche-t-il ? Que réclame-t-il, en réalité, de son Maître ? Il demande une constitution, une organisation définitive. Tu es notre Maître, peut-être partiras-Tu tandis que nous resterons ici-bas, je veux savoir, alors, comment me conduire en toute circonstance de la vie. Une fois pour toutes, ô Maître, résous mes problèmes. Comment dois-je organiser la société, l’Église, notre vie, et ceci de telle sorte que nous n’ayons plus besoin de nous préoccuper si nous devons pardonner ou non, agir d’une manière ou d’une autre ? 

Le Sauveur dit : "Pardonne septante fois sept fois". C’est la plénitude. Néanmoins, insatisfait de cette société, même bien organisée, qui pardonnera toujours - et nous en sommes loin - , Son Être est troublé et Il S’écrie : "Comme Je veux que le Feu descende sur terre".

Deux conceptions de la vie, de l’éthique, de la société, de l’Église et de la connaissance humaine ; l’Église, pour les uns, est bienfaisante parce qu’admirablement ordonnée, que tout y est prévu. Si, par hasard, quelque chose d’imprévu surgit inopinément, on a le recours d’expliquer que c’est une défaillance à laquelle elle devra remédier. L’Église est une constitution, un ordre. Une carence au sein de cette architecture parfaite est un accident. Nous nous installons en son sein, nous sommes tranquilles, possesseurs d’une certaine paix. - Je dis : certaine paix, car il existe différentes paix... - L’esprit aimanté par l’ordonnance autoritaire et bien construite, tendu vers cette pyramide terminée par une pointe, n’a plus besoin d’exceptionnel, d’inattendu et surtout du "risque" de l’impalpable. Tout est là !

Cette paix ne plaît pas à Notre Seigneur.

L’Église peut être basée sur une autre conception. L’ordonnance, minute après minute, ne sera pas son centre de gravitation.

Le Christ prévient tous les Pierre et tous les Simon du monde. Vous voulez l’ordre ? D’accord, Mais, attention ! là n’est pas le cœur de Mon Église. Son cœur, mes enfants, est le Feu qui doit brûler en vous, le Feu sacré, le Feu d’amour. Elle est Église-constitution et Église-feu.

Quel est le rôle de cette dernière ? Vis-à-vis du pays, par exemple, doit-elle lui offrir une constitution ? Apporter des précisions sur tel ou tel point, indiquer comment il faut agir ? Oui, si vous voulez. Mais son but primordial est d’enflammer l’humanité, toutes les parcelles de l’univers, afin que la flamme de l’Esprit-Saint les dirige. L’accent est mis sur le Feu divin et non sur l’ordre. Pour quelle raison ? Parce que le corps parfait qui n’a pas de sang, sans flamme, sans Esprit-Saint en lui, est un cadavre. Il est statique, frigorifié.

Voici les deux conceptions. Et si l’on vous demande ce qu’est l’Orthodoxie, répondez que sa mission est d’être le feu et non une organisation bien engrenée, ou une machine à recettes de conduite prévoyant tout détail de la naissance à la mort, personnellement, socialement, intellectuellement, économiquement, professionnellement, internationalement.

Les plus délicates et subtiles méthodes de dirigisme tournent le dos à cette angoisse de notre Sauveur : Je veux l’Église-Feu !

Et l’apôtre Paul qui affirme que le Dieu de l’ordre n’est pas le Dieu du désordre, affirme aussi : "N’éteignez pas l’Esprit !".

Et si l’on vous demande quel est celui qui écrit les encycliques chez nous, répondez : le Feu du Saint-Esprit. En tant qu’Il est présent et qu’Il enflamme, c’est Lui Qui alimente, vivifie, éclaire, réchauffe, pousse, fait éclater.

Mais, répliquera-t-on, opposer une société bien construite à ce feu, n’est-ce pas opposer l’ordre au désordre, l’harmonie à l’inspiration échevelée ?

Le problème n’est pas là. Il va sans dire que notre Dieu est le Dieu de l’ordre, de la clarté des pensées, Lui, le Logos, l’harmonie par excellence. Poursuivez l’ordonnance, établissez vos règles, mais n’en faites pas vos idoles. Que votre maison solidement bâtie ouvre sa porte sur l’Esprit-Saint. Que votre vie bien organisée laisse une place à l’inattendu, au nouveau et au renouveau, à l’impossible ; qu’elle leur donne la possibilité d’entrer, parce que la porte est ouverte. Enlevez à vos organisations minutieuses les formes de pyramide et les couvercles en coupole, ouvrez, ouvrez-les en coupes susceptibles d’accueillir cette boule de feu qui descendit sur saint Martin.

Mes amis, repoussez l’aberration humaine de vouloir, non point organiser au mieux, mais organiser définitivement. Tout règlement n’est qu’un marchepied et l’inclination de l’homme à vouloir stabiliser est une inclination vers la mort, contre la vie.

L’homme est enclin à la mort. Il désire mourir plutôt que de vivre. L’Évangile d’aujourd’hui est redoutable. Le mauvais serviteur ayant la responsabilité des affaires de son Maître, et voyant que ce dernier tarde à venir, introduit alors l’ordonnance - l’Inquisition -. Il se met à commander comme si le Maître était à jamais parti. Il arrange, il classe le monde. Dieu est loin. Le Feu de l’Esprit est loin. Nous sommes sur terre, organisons, organisons. Inévitablement, l’organisation battra les serviteurs.

Et le Christ, de retour, lui dira, parce qu’il n’a pas été "vigilant" au Feu sacré Qui peut descendre à toute seconde, parce qu’il n’a même pas langui après Son retour : "Mauvais serviteur, tu seras jeté là où il y a des grincements de dents. Tu es un hypocrite".

Je résume : Il est nécessaire de rechercher l’ordre dans sa vie, son métier, de mettre la clarté dans ses conceptions, mais point comme quelque chose de définitif, porteur en soi de notre salut.

Soyons vigilants, cultivons notre cœur afin qu’il aspire surtout au Feu de vie de l’Esprit-Saint.

Amen.