Chapitre 7

 

[...] Il y a ici une fausse conception de l’esprit humain. On doit distinguer deux hérésies, dont les tendances sont plus ou moins précises.

Celle qui est de style oriental confond notre esprit avec Dieu Lui-même comme si notre esprit était d’essence divine. C’est la suppression du dialogue avec Dieu : le salut de la créature est de se confondre avec Dieu, de façon totalement passive et même au-delà, en perdant toute distinction. Par rapport à la double négation de Chalcédoine, « sans séparation, sans confusion », c’est la confusion. On trouve cette atmosphère, par exemple, aux Indes, ou chez Plotin, ou chez les idéalistes allemands.

L’hérésie de style occidental voit l’homme en dehors de Dieu. Tout ce qui est divin en l’homme lui est surajouté par la grâce. « L’homme naturel » est sans la grâce, la grâce est surnaturelle. D’où la théorie que sans la grâce, il n’y a pas de foi. Et pourtant, avant même d’être touché par la grâce, l’homme est en communion inconsciente avec Dieu, et toute chose est en communion inconsciente avec Dieu.

L’hérésie orientale confond le cœur du monde, où habitent l’Esprit et le Verbe, avec l’Esprit et le Verbe eux-mêmes. Chaque chose, chaque être sont du Verbe et de l’Esprit, mais ne sont pas le Verbe ni l’Esprit. Saint Cyrille dit : « Dieu est partout et nulle part. Intou­chable et partout présent. Tout est image de Lui, rien n'est sans Lui, rien n’est Lui. »

L’hérésie occidentale expulse Dieu du monde : Dieu est créateur, ordinateur et, en plus, Il distribue de temps en temps Sa Grâce : la crainte du panthéisme empêche de voir l’indispensable et incessante présence de Dieu.

Confusion en Orient, coupure en Occident : deux conceptions statiques, deux schémas. Deux pseudo­civilisations aussi.

L’Orient méprise l’homme en tant qu’individu, et dans un climat spiritualiste plus ou moins grandiose ignore les biographies tout autant que l’histoire.

L’Occident affaiblit l’esprit et, tout en gardant une forme de respect pour la personne humaine, tombe à la fois dans le matérialisme et dans les religions senti­mentales.

Tout ceci est statique, propice aux constructions intellectuelles et abstraites, mais inefficace et volon­tiers pourrissant.

En face de ces deux types d’erreurs la théologie est une pulsation, comme le battement du cœur, comme une respiration :

  • Rien n’est Dieu, Dieu est en tout.
  • Dieu partout présent, Dieu n’est nulle part.
  • Le rideau est tiré devant l’iconostase, les prêtres se mêlent à la foule pendant la Liturgie.

Pour l’apophatisme rien n’est Dieu et Dieu n’est rien, mais Il est à l’intérieur de tout et Il est atteint par la contemplation apophatique.

Chassant Dieu du monde et de la nature, le Moyen Age crée l’athéisme et si l’Occident est devenu profane, c’est par la conséquence de cet enseignement médiéval qui affirme que la nature (« natura naturalis ») est quelque chose « en soi » et que la grâce est un accident. Dieu est défini « en dehors » et Il aurait créé un monde où Lui-même n’aurait plus de place. [...]